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La Chapelle dite du sacre de monseigneur de Dreux-Brézé à Notre Dame de Paris

Mardi 04 mars 2025

par Placide Poussielgue-Rusand

Catalogue des bronzes pour les églises et des vases sacrés, 1846, n°42
Catalogue des bronzes pour les églises et des vases sacrés, 1846, n°43
Maison P. Poussielgue-Rusand, "Album de modèles dessinés par le P. Arthur Martin", Paris, Plan Frères, 1853, p. 1 (reproduction du calice)

Placide Poussielgue-Rusand (Français, 1824-1889)
d’après les dessins du Révérend Père Arthur Martin (Français, 1801-1856)

Chapelle dite du "Sacre de Monseigneur de Dreux-Brézé à Notre Dame de Paris le 14 avril 1850"

Vermeil, émaux, cabochons de fausse pierreries à l’imitation des grenats, turquoises, pierre du Rhin et lapis lazuli.
Elle comprend ostensoir, calice, patène, ciboire, custode sur pied et burettes et leur plateau à décor filigrané de rinceaux.
Les émaux figurent des épisodes de l’Ancien testament dont ceux de l’histoire de Moïse : l’inscription du Tau, Moïse frappant le rocher, la grappe rapportée du pays de Canaan et Moïse et le serpent d’airain. D’autres représentent des passages du Nouveau Testament à l’instar de la Cène, le Christ en croix entouré de l'Église et la Synagogue, la Mise au tombeau et l’Incrédulité de saint Thomas. Les autres convoquent les représentations du tétramorphe, de l’Orient, l’Occident, du Nord et du Sud, ainsi que les portraits des Grands prophètes Daniel, Jérémie, Ezéchiel et Isaïe et des saints Thomas, Jean, Pierre, Jacques le Majeur, André, Philippe, Simon, Théodore, Bartholomé, Mathieu, Paul, Jacques le mineur. Riche décor néo-gothique dont dragons.

L’ostensoir, sommé d’une croix, offre une monstrance inscrite dans un entourage de rayons et enroulements. Son fût à chapiteau aux aigles est orné de feuilles d’acanthe et branches de lierre supportant deux bras aux archanges et se termine par une bague à l’Agnus Dei. Le pied est composé de quatre archanges tenant des sphères sur des têtes de gargouille.
Ostensoir : Haut. 72 Larg. 33,5 Prof. 21 cm. Poids brut : 3.944 g.

Le ciboire et le calice à la fausse coupe et au noeud semé de boutons sont ornés d’un pied gravé d’un fond de croisillons alternant quatre dragons séparant quatre lobes.
Calice : Haut. 27 Diam. coupe 11,5 Diam. pied 16 cm. Poids brut : 1.190 g.
Ciboire : Haut. 33 cm. Diam. coupe 13,5 Diam. pied 16 cm. Poids brut : 1.576 g.

La patène est décorée au revers d’un médaillon polylobé avec un agneau entouré de l’inscription « Panis vivus Agnus dei ».
Patène : Diam. 16,8 cm. Poids brut : 258 g.

Les burettes au fretel en forme de grenade cerclée de rinceaux se compose d’une anse ornée de feuilles d’acanthe. Leur plateau polylobé de forme oblongue présente une descente moulurée soulignant un creux gravé de motifs végétaux.
Leur plateau polylobé de forme oblongue présente une descente moulurée soulignant un creux gravé de motifs végétaux.
Burettes : Haut. 16,5 cm. Poids brut : 669,7 g.
Plateau : Long. 30,5 Larg. 18,5 cm. Poids brut : 490 g.

La custode surmontée d’une croix est richement décorée de motifs de pampres de vigne se prolongeant sur le pied balustre tournant et escamotable. Marquée « 1er mai 1889 ».
Custode : Haut. 13 cm. Poids brut : 96,3 g.

Poinçon Minerve 1er titre et sanglier (custode).
Orfèvre : PPR pour Placide Poussielgue-Rusand.

Poids total brut : 7.034 g.
(infimes accidents sur quelques émaux, petites usures à la dorure à l'ostensoir)
Chaque pièce dans un écrin, dont celui de l'ostensoir et la custode d’époque avec l'étiquette de l'orfèvre.

Provenance : anciennement provenant d'une communauté religieuse normande, le calice de cette chapelle a été consacré par Monseigneur l’Archevêque de Paris, ainsi que l'atteste un document de l’archevêché de Paris en date du 21 août 1885.

Bibliographie :
- Maison P. Poussielgue-Rusand, "Album de modèles dessinés par le P. Arthur Martin", Paris, Plan Frères, 1853, p. 1 (reproduction du calice)
- Maison P. Poussielgue-Rusand, "Catalogue de la manufacture d’orfèvrerie, de bronzes et de chasublerie Poussielgue-Rusand fils successeur", Paris, 1893 (modèle des burettes avec plateau reproduit p. 20, n°65 et proposé au prix de 1.150 francs; ciboire p. 32, n°32, vendu 1.250 francs ; ostensoir, p. 49, n°94, vendu 4.500 francs)
- "L’art en France sous le Second Empire", cat.exp., 1er octobre - 26 novembre 1978, Philadelphia museau, Detroit institute of Art, 18 Janvier-18 mars 1979, Paris, Grand Palais, 11 mai-13 août 1979, Paris, RMN, p. 188-189
- Jean-Michel Leniaud, "Le trésor néo-gothique de Moulins", Monuments historiques, 3, 1978. p. 56-60 ;
- Catherine Arminjon, "Inventaire général Pays de la Loire : L'Anjou religieux et les orfèvres du XIXe siècle", Secrétariait Régional d'Inventaire des Pays de la Loire, p. 25-39 et p. 132-133
- Gaël Favier, "Viollet-le-Duc et les orfèvres religieux", in Viollet-le-Duc les visions d’un architecte, cat. exp., Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, Norma, 2014, p. 118-125
- Judith Kagan, Marie-Anne Sire, "Trésor des cathédrales", Paris, Éditions du patrimoine, 2018, p. 215 (reproduction du Ciboire du sacre de Monseigneur de Dreux-Brézé)
- Jannic Durand, Anne Dion-Tenenbaum, Michèle Bimbet-Privat, Florian Meunier, "Le trésor de Notre Dame de Paris des origines à Viollet-le-Duc", Paris, 2023.

La maison de Placide Poussielgue-Rusand

marque en particulier le renouvellement stylistique de l’orfèvrerie religieuse au début du Second Empire et plus généralement la diffusion du néo-gothique en France. La chapelle du sacre de Monseigneur de Dreux-Brézé (1811-1893) en est l’un des plus beaux exemples, comme l’illustre notre ensemble de vases sacrés, reconstituant la chapelle éponyme.

À la naissance d’une production d’orfèvrerie néo-gothique

Reprenant seul la maison Choiselat-Gallien en 1849, l’orfèvre tient à prolonger les premières inspirations néo-gothiques déjà initiées par son prédécesseur Louis-Isidore Choiselat (1784-1853). Ce dernier présente, dès 1827, une châsse au décor inspiré par le gothique. Le Catalogue des bronzes pour les églises et des vases sacrés, édité conjointement en 1846 par Choiselat-Gallien et Poussielgue-Rusand, montre quelques exemples marquant l’intérêt croissant pour les styles médiévaux (voir les reliquaires n°43 et 44 par exemple).

L’esprit du temps se porte effectivement bien volontiers vers ces formes du passé, grâce notamment aux découvertes archéologiques et à la prise de conscience de la conservation des monuments gothiques de la nation. Elle est encouragée notamment par le baron Isidore Taylor (1789-1879) qui dirige la publication du Voyage pittoresque dans l’ancienne France, ou suppliée par Victor Hugo (1802-1885) en 1831, à la parution de Notre Dame de Paris. Il en découle le chantier de restauration de la cathédrale parisienne par Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879). Son maître mot : l’unité de l’architecture et du mobilier afin de former une œuvre d’art totale.

Cette tendance s’explique également par la naissance d’une nouvelle génération d’hommes d’Église évoluant entre les années 1840 et 1850, dont l’évêque de Dreux-Brezé fait partie. Fils du marquis Henri-Evrard de Dreux-Brézé, Grand Maître des cérémonies de Louis XVI, il entre au séminaire de Saint-Sulpice avant de se rendre à Rome pour étudier la théologie. Revenu à Paris, il est nommé Chanoine honoraire de Notre Dame et Vicaire général de l’archevêché. « Monseigneur ne dissimula jamais son attachement aux grands souvenirs de la monarchie française » précisent les commentateurs de l’époque. Ainsi, il rejette les raisonnements « des vieux prélats héritiers des modes de pensée du XVIIIe siècle », car y voyant « la principale cause de déchristianisation du pouvoir et de la société ». À l’inverse, le règne de Saint Louis semble se présenter comme un temps béni, où règne une union de la religion, de l’autorité royale et des communautés composant la société. L’époque gothique est un idéal vers lequel tendre en ce milieu du XIXe siècle.

Le modèle d’une génération

Nommé évêque de Moulins sur proposition du ministre des Cultes, Alfred de Falloux, il reçoit la consécration épiscopale le 14 avril 1850 en la cathédrale Notre Dame de Paris. Il commande alors auprès de l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand une chapelle traduisant ses sentiments à l’égard du gothique. Le dessin du calice, de la patène, du ciboire, de l’ostensoir, des burettes et du plateau est confié au père jésuite Arthur Martin (1801-1856). Théoricien, historien et auteur de la Monographie de la cathédrale de Bourges (1841-1844), il tend ici à proposer des objets à la riche ornementation inspirée des productions médiévales, notamment par l’emploi d’imitations de pierres précieuses. Si les filigranes de rinceaux sont « à la manière d’Hugo d’Oignies », tandis que les dragons font penser aux guivres limousines, la disposition « du décor sur la coupe, le nœud et le pied, serait plutôt inspirée par les XIVe et XVe siècle. Quant à l’iconographie, elle oscille entre Nouveau et Ancien testament, figurant à la fois des épisodes de la vie de Moïse et de Jésus Christ, ainsi que des portraits des grands prophètes, de saints et du tétramorphe. Le père Arthur Martin est en ce sens un amateur « antiquarian » et non un archéologue retranscrivant la réalité des formes du passé.

Un orfèvre au temps de l’industrie

L’orfèvre, pour sa part, réussit à concilier solutions techniques contemporaines et décor historiciste. Le matriçage remplace par exemple les fonds gravés à émailler, tandis que les filigranes de la base sont visés au revers du piétement. Ceci explique la répétition des motifs d’une pièce à l’autre. Les différents catalogues des modèles de la maison Poussielgue-Rusand le confirment sans conteste. En effet, le modèle du père Arthur Martin, proposé dans le catalogue de 1853, l’est encore dans celui de 1893, soit plus de quarante ans après les premiers dessins. Les solutions commerciales de la maison d’orfèvrerie sont efficaces et permettent une diffusion en de nombreux exemplaires plus ou moins luxueux et sur plusieurs décennies. Ce succès s’explique notamment par la présentation de la chapelle lors de l’Exposition universelle de Londres de 1851, où elle reçoit un très vif succès. La commande d’une chapelle du même modèle par l’Empereur Napoléon III en 1865 participe également à la diffusion du modèle en de nombreuses sacristies. Offerte à l’abbé de Place, chanoine titulaire de Notre Dame de Paris, elle se distingue de la nôtre par l’emploi de micro-mosaïques au lieu d’émaux.

Aujourd’hui disparue, à l’exception du ciboire encore conservé au sein du trésor de la cathédrale de Moulins, la chapelle de Monseigneur de Dreux-Brézé se présente comme l’initiatrice de formes nouvelles imaginées par un prélat de grand goût. Si elle anticipe le reste de la production de son auteur, elle est surtout l’un des derniers instruments de sacre d’un Prince de l’Eglise.
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