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Chomo : résistant de la première heure, précurseur du zadisme !

Mercredi 26 février 2025

Artension n°190, Roberta Trapani

À la lisière de la société de consommation et des institutions subsistent des bastions poétiques qui contestent et inversent les logiques ordinaires. Ces lieux, à la fois réels et utopiques, sont ce que le philosophe Michel Foucault appelait des hétérotopies. Le Village d’Art Préludien, niché dans la forêt de Fontainebleau, en est un exemple saisissant. Créé par Chomo, il mêle art et nature, sacré et profane, suspension temporelle et perpétuelle mutation. Plus qu’un espace, il incarne une vision critique où s’esquissent d’autres manières de penser et d’habiter le monde.

Formé aux Beaux-Arts de Paris, Roger Chomeaux, alias Chomo (1907-1999), débute comme sculpteur classique avant que la guerre bouleverse son regard. Dans l’après-guerre, au fil de séjours sur une parcelle sablonneuse près d’Achères-la-Forêt, il fait peu à peu tabula rasa de son académisme pour se livrer à son intuition.

Salué par la critique, il refuse de vendre ses oeuvres : le commerce le révolte. Militant pour la synthèse des arts, il explore céramique, peinture, poésie, cinéma, musique et assemblage, les transformant en vecteurs d’une quête spirituelle et d’un langage subversif. Il ne se contente plus de sculpter des objets : il modèle un territoire. Avec arbres morts et déchets, il érige des archisculptures monumentales, empreintes de sa propre ritualité.

Dit guérisseur, les visiteurs affluent pour l’approcher. Peu à peu, son Village d’Art Préludien devient un dédale foisonnant d’oeuvres et de symboles. Menacé de démolition en 1965, le site y échappe grâce au ministre de la Culture André Malraux. Dans les années 1970, il attire artistes et intellectuels, dont l’écrivain Laurent Danchin (1946-2017), qui publie un recueil d’entretiens dévoilant la pensée de l’artiste (1978).

Après la mort de Chomo, les oeuvres sont retirées et protégées, le site est fermé. Près de dix ans sont nécessaires pour régler la succession, pendant lesquels les bâtiments se détériorent. L. Danchin mobilise des bénévoles, fonde en 2015 l’association des Amis de Chomo et organise l’année suivante une rétrospective au château de Tours. Soutenue par des dons et des figures comme Fabrice Azzolin, enseignant aux Beaux-Arts de Nantes, elle coordonne portes ouvertes et chantiers de restauration.

En 2021, les Amis de Chomo s’allient au collectif Patrimoines irréguliers de France, qui apporte expertise, forces vives, réseau, lance un crowdfunding et ouvre un dialogue avec les institutions. Le Village s’anime avec ateliers, résidences, chantiers participatifs et visites, transformant un domaine endormi en laboratoire de création. Un cercle vertueux s’enclenche.

En 2022, les ayants droit lèguent 3/4 du site à l’association ; en 2023, l’inscription à l’Inventaire des monuments historiques reçoit un avis favorable ; en 2024, une première monographie voit le jour, dirigée par le commissaire-priseur Aymeric Rouillac, ami de L. Danchin. Dans la préface, Michel Thévoz souligne combien le retrait du système choisi par Chomo, loin d’être une fuite, fut un acte de contestation ancré dans un chez-soi, offrant une invitation à réinventer les liens entre les lieux, l’art et la vie.

À VOIR Village d’Art Préludien de Chomo à Achères-la-Forêt (77) Chantiers participatifs en quête de bénévoles amisdechomo.com helloasso.com/ associations/ association-desamis-de-chomo

À LIRE Chomo sous la direction d’Aymeric Rouillac, Lelivredart, 2024, 168 p., 35 €
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