CHOMO, l'homme qui voulait vivre sa vie
Samedi 14 décembre 2024
Miroir de l'Art, B.L.

Rien de tel que ce qui s'épanouit dans la marge. Chomo (1907-1999) était un homme de la marge. L'ouvrage paru aux éditions Lelivredart lui rend hommage.
Rien de tel que ce qui s'épanouit dans la marge. Chomo (1907-1999) était un homme de la marge. Un pur, un vrai, dur de dur, estampillé ermite, anachorète, solitaire ("le plus grand hommage que l'on puisse faire d'un diamant, c'est de l'appeler un solitaire", écrivait Barbey d'Aurevilly). Mais profondément artiste. C'est-à-dire créateur, amoureux des formes et des couleurs. Tour à tour, ou simultanément, peintre, poète, sculpteur, architecte, musicien, dessinateur et cinéaste, Chomo était inclassable. 25 ans après sa disparition, sa « trace » perdure et l'ouvrage publié en octobre aux éditions Lelivredart lui rend un hommage amplement mérité. S'il est concevable qu'un tel artiste, en bien des points précurseur (écologiste avant l'heure par exemple), puisse désarçonner les amateurs d'art, voire inquiéter le « marché », il est moins compréhensible qu'il ne soit pas aujourd'hui considéré à l'égal des grands créateurs du XXème siècle. Mais qui était-il ce Roger Chomeaux mort en 1999 (la même année que Nathalie Sarraute, Bernard Buffet, Stanley Kubrick, Michel Petrucciani ou encore Robert Bresson) ?Tout se joue sans doute en 1960 pour ce natif de Berlaimont, dans le Nord. Lui qui a connu l'Ecole des beaux-arts de Valenciennes, puis celle de Paris, qui a déjà obtenu plusieurs prix, va participer le 17 mai 1960 à sa première et dernière exposition officielle, à la galerie Jean Camion, au 8 de la rue des Beaux Arts à Paris. Une tentative d'intégrer les circuits officiels du marché de l'art et d'être reconnu pour ses créations. II y dévoile des toiles lacérées, des astres de plâtre couverts de signes ainsi que ses fameux « bois brûlés », témoignages saisissants à propos desquels il disait : « Ce sont des empreintes que je ramène d'une autre planète, j'en ai conscience, en passant par le tuyautage de l'intuition ». Cette exposition se solde par un échec commercial malgré le défilé d'environ 15 000 visiteurs - parmi lesquels André Breton, Dalf, Picasso, Iris Clert, Anaïs Nin ou encore Atlan... Un échec qu'il précipite par une attitude importune auprès de son galeriste et par un caractère bien trempé qui lui fait, par exemple, rater la vente de sa « Grande Roue » de bois brûlé aux représentants de la Communauté européenne du charbon et de l'acier... « Mon art ne sera pas le symbole de cette industrie qui pollue la terre »... ose-t-il... L'échec de cette exposition le conduit à rompre avec le milieu artistique. A 53 ans, il change de nom pour devenir CHOMO, et fait table rase de ce qu'a été sa carrière d'artiste contemporain. II fuit le monde et s'isole dans la forêt sur un terrain acquis par sa femme 20 ans plus tôt à Achères-la-Forêt, près de Fontainebleau, en Seine-et-Marne, s'installant dans une maison préfabriquée dénuée de sanitaires, chauffage et eau courante, afin de se consacrer entièrement à ses « expériences »... Le village d'Art Préludien «II faut le considérer à cet égard comme un résistant de la première heure, précurseur du zadisme, des installations paysannes alternatives, de toutes les microsociétés communautaires émergentes [...]»,
Mon œuvre n'a pas qu'une raison de peinture, de sculpture, etc. Elle a une raison future, une raison de mise en garde. écrit à juste titre Michel Thévoz, fondateur de la Collection de l'Art brut à Lausanne. Désormais, Chomo, hors système, tourne le dos à la société de consommation pour en transformer ses déchets — plastique, grillage à poule, bouteilles en verre — et les assembler aux matériaux naturels — terre, pierre, sable, humus. II invente son propre chemin. « II faut recréer une religion propre, une religion de la pureté. II faut recommencer à zéro », explique-t-il. II donne ainsi naissance à l'Art Préludien, qu'il définit comme « un prélude d'une initiation nouvelle », un art total qui n'exclut aucun procédé de création. Poésie, musique et cinéma font ainsi corps avec la sculpture, la peinture et l'architecture. Adepte de la poésie sonore, autoproclamé « poète illettré », il met au point un système d ecriture phonétique, libéré de l'emprise des discours intellectuels et accessible à tout un chacun. Dès 1961, il utilise les fondations d'un hangar pour ériger le Sanctuaire des bois brûlés ». S'élabore peu à peu un véritable lieu dédié à l'art sous toutes ses formes. Après sa rencontre avec Claude Clavel (jeune étudiant né en 1941), Chomo décide d'ouvrir cet espace au public, de le "consacrer" en tant que centre d'art, installant alentour des pancartes qui indiquent « Sanctuaire des Bois Brûlés et d'Art Total Préludien - Entrée libre ». Chomo y vivra à « plein temps » ou presque à partir de 1966.
II y aurait tant à dire et à écrire sur cet artiste atypique. Demeurent ses œuvres et quelques livres. Et quelques images « animées ». À l'âge de 80 ans, Chomo avait débuté le tournage du film expérimental "Le Débarquement spirituel — Images de lumière", synthèse de ses démarches plastiques, graphiques, poétiques et sonores. II avait convaincu le réalisateur Clovis Prévost de tourner sous son inspiration, avec l'aide de Jean-Pierre Nadau, chargé des éclairages. Durant plus de trente ans, ces dizaines d'heures de pellicule restaient en sommei! avant qu'en 2019 les enfants de l'artiste en financent une version de 40 minutes, livrée par Clovis Prévost et montée par Frédéric Michaudet... Ultime témoignage d'un homme "hors normes"...
Les éditions Lelivredart publient la première monographie de Chomo (de son vrai nom Roger Chomeaux). L'ouvrage, nourri de plus de 100 photographies et archives inédites, rend hommage à cet artiste visionnaire et multiple qui traverse le XXe siècle comme un météore. La forêt de Fontainebleau conserve encore son grand œuvre, le Village d'Art Prélu dien, réalisé au cours des quatre décennies où il y vécut retiré du monde. Dirigé par Aymeric Rouillac (commissaire-priseur et expert près la Cour d'Appel), ce livre réunit les contributions d'historiens de l'art et de eritiques, dont Michel Thévoz (fondateur de la Collection de l'Art brut à Lausanne), Harry Rellet (historien de l'art et journaliste culturel au Monde), Martine Lusardy (directrice au centre d'art La Halle Saint Pierre, Paris, et commissaire d'expositions et Lrançoise Monnin (historienne de l'art)... L'ouvrage donne également la parole à ceux qui ont côtoyé l'artiste, notamment Jean Hubert Martin (commissaire d'expositions, ex-directeur du Centre Pompidou), Josette Rispal (artiste et mécène de Chomo), Clovis Prévost (réalisateur de films sur Chomo), offrant ainsi une perspective unique et intime sur sa vie et son œuvre.
CHOMO 1907-1999 24 x 30 cm, 168 pages 35 €
