Une fleur d’argent au pays de l’or noir
Samedi 05 octobre 2024 à 07h
Cette semaine, Michel de Cour Cheverny soumet à notre expertise un objet en métal argenté adoptant la forme d’une fleur ; l’occasion pour Aymeric Rouillac de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cet objet.
Le trésor de cette semaine est un objet métallique ressemblant à une fleur aux pétales ornés d’écailles ; au second coup d’œil, on remarque qu’il s’agit en fait d’une tige en forme de dauphin autour de laquelle sont disposés six poissons stylisés. L’ensemble repose sur un piédouche à godrons. Sur sa base est indiquée la marque « Fleuron France » suivie d’un poinçon carré, lequel nous permet d’affirmer qu’il est fait en métal argenté. S’agit-il d’un objet purement décoratif ou aurait-il également une fonction utilitaire ?
Votre fleur, Michel, est en fait un service à caviar ; ses poissons stylisés sont des cuillers permettant la dégustation des œufs d’esturgeon. La forme particulière des cuillers, avec leur cuilleron plat et étroit, permet de prélever le caviar sans risquer de percer les précieux petits œufs. Le métal argenté employé pour leur réalisation vise à ne pas altérer la saveur du produit, particulièrement délicate ; traditionnellement, on utilise en effet des cuillers en nacre ou en argent pour la dégustation du caviar. Le support à cuillers est lui réalisé en bronze, matériau permettant une plus grande finesse de ciselure. Les cuillers peuvent se replier à la verticale, le long de la tige de préhension, afin de ranger l’ensemble plus aisément, ou être placées à l’horizontale pour faciliter leur saisie par les convives.
Intéressons-nous à présent au vocabulaire et à l’origine de ce service : l’orfèvre a employé un vocabulaire classique, ayant recours à des godrons et un dauphin proche de ceux réalisés par les grands orfèvres et bronziers de la fin du XVIIIe siècle, tels Thomire ou Gouthière. Il a mêlé ces éléments à une influence marine plus fantaisiste, avec des pétales travaillés comme des poissons de profil dont la tête rappelle celle du dauphin, alliant ainsi la destination de l’objet avec sa forme. La marque apposée sur le socle de ce service, « Fleuron France », désigne l’une des filiales de la célèbre maison Christofle, spécialisée dans la création d’objets d’art de la table en métal argenté.
Le caractère luxueux du caviar apparait relativement récemment dans l’histoire de la gastronomie. En effet, même s’il est déjà mentionné chez Rabelais, le caviar n’était que peu consommé en Europe et surtout réservé à des populations pauvres. La Révolution Russe de 1917 et l’émigration qui s’ensuit voit une vague « russophile » déferler sur l’Europe, provoquant une hausse de la consommation et le déclin des populations d’esturgeons. Leur raréfaction contribue à faire du caviar un produit de luxe, pouvant atteindre jusqu’à 30.000 euros le kilo ! Il s’agit donc d’un mets que l’on consomme dans les grandes occasions, d’où l’utilisation d’un service raffiné, spécialement étudié pour sa dégustation.
Votre service, Jean-Paul, semble complet et de qualité : il serait donc possible de l’estimer autour de 100 euros. De quoi vous offrir une petite louche de caviar de Sologne, très réputé chez les chefs étoilés et les fins gourmets, et goûter ainsi vous aussi à cet or noir vendu autour de 2.200 euros du kilo !