La dague du nouveau monde
Samedi 28 septembre 2024 à 07h
Cette semaine, Elisabeth, l’une de nos fidèles lectrices, soumet une dague ancienne à notre expertise ; l’occasion pour Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, d’en dire plus sur l’histoire et la valeur de cette arme.
En cette période où la chasse bat son plein, les amateurs de vénerie ressortent courir le cerf. La chasse, activité nourricière, puis aristocratique avant de devenir un loisir, permet également aux pratiquants de manifester leur goût pour les belles créations. Ainsi, les armes destinées à la chasse ou celles de parade permettent d’affirmer la position sociale de leur propriétaire, d’où un recours à des matériaux précieux ou à un décor particulièrement riche. En pratique, cela aboutissait parfois à vendre une arme quasiment inutilisable, uniquement exposée comme une œuvre d’art ou offerte en tant que cadeau précieux.
L’objet de cette semaine est une dague conservée dans la famille de notre lectrice depuis plus de 100 ans. Sa poignée en bronze reprend un riche décor : la fusée et le pommeau sont en forme d’Indien d’Amérique, appuyé sur un arc débandé. La garde arbore un décor végétal de branchages entrelacés terminés par des quillons à tête de fauve. La monture est probablement argentée. La lame en acier, pourvue d’une gouttière centrale, présente quelques piqûres. L’arme est dotée d’un fourreau au décor végétal surmonté d’un aigle aux ailes déployées au niveau de la chape.
Ce style de pièce rappelle le travail réalisé durant la première moitié du XIXe siècle, alors qu’apparaît le Romantisme. Ce nouveau mouvement se répand dans la littérature, la musique, la peinture ou encore les arts décoratifs. Il exalte la grandeur des sentiments et le rôle de l’artiste, notamment au travers de représentations plus tragiques ou plus libres. On assiste également à un renouvellement des inspirations, qui ne sont plus uniquement tirées de l’histoire ou de la mythologie antique, mais aussi des œuvres médiévales, ou contemporaines. Ainsi, « l’indien du Nouveau Monde » devient le héros ou l’antagoniste d’histoires permettant de recréer le mythe de l’homme face à la nature sauvage. On pense ainsi à des récits tels que Pocahontas en 1840, Le dernier des Mohicans en 1826 ou encore, Atala de Chateaubriand en 1801, qui inspirent de nombreux artistes contemporains comme Girodet et Delacroix.
Cette dague s’approche de l’œuvre de Félicie de Fauveau, une femme, sculptrice romantique dont l’une des œuvres phares est la célèbre dague d’Othello et Desdémone conservée aux États-Unis, dans le Michigan à Détroit à l’Institute of Arts Museum. Il est possible de la dater des années 1832 où elle participe à l’insurrection royaliste aux côtés de la duchesse de Berry pour soulever l’Ouest et renverser la monarchie de Juillet. Serait-ce une variante de cette pièce chargée d’histoire ?
Concernant sa valeur, sous réserve d’un examen de visu pour déterminer la présence d’une éventuelle signature, il est possible de l’estimer à partir de 300 euros… voir plus. Une jolie somme qui vous permettra de vous offrir un week-end en Sologne afin de venir écouter le brâme du cerf !