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Les chefs-d’œuvre de la 36e Garden Party des Rouillac au Château d’Artigny

Mercredi 22 mai 2024

Le Magazine des Enchères, Diane Zorzi

La 36e édition de la très attendue Garden Party des Rouillac se tiendra les 26 et 27 mai au Château d’Artigny à Montbazon, près de Tours. Après la trousse du barbier de Louis XI, mise en lumière dans un précédent article, zoom sur un précieux coffret en pagode du Japon, un portrait du marquis Boniface de Castellane par Rembrandt Bugatti et l’ultime portrait de Pierre-Auguste Renoir.

Chaque année, à l’occasion de leur vente Garden Party annuelle, les Rouillac nous rappellent que les collections privées regorgent de trésors rivalisant avec celles des institutions muséales. La 36e édition en est un exemple brillant, tant son catalogue regorge de pièces prestigieuses. Des pièces historiques, à commencer par la trousse du barbier de Louis XI, côtoient de précieux témoins du savoir-faire des artisans d’Extrême-Orient, avec un somptueux coffret en pagode du Japon, tandis qu’en peinture et sculpture, une paire de paysages signés Jan Brueghel l’Ancien et Jan II Brueghel précède un ensemble d’œuvres de grands maîtres de l’art moderne, à l’instar d’un Bouquet de fleurs au bleu cobalt magnétique d’Odilon Redon, de l’avant dernier tableau de Pierre-Auguste Renoir et d’un portrait magistral du marquis Boniface de Castellane modelé par Rembrandt Bugatti.

Un précieux coffret en pagode du Japon

Ce coffret a été réalisé au Japon autour de 1640-1650, alors qu’émergent les premiers échanges commerciaux avec l’Orient, par l’entremise des Compagnies des Indes. Il témoigne du nouveau style dit « Pictorialiste », ou « pittoresque », mis en place par la Compagnie des Indes Orientales Néerlandaise.

Pour ces pièces, fabriquées spécialement à des fins d’exportation, les artisans alliaient aux formes et usages occidentaux, une esthétique japonaise, proposant en guise de décors des paysages du Japon. Ici, les paysages sont, chose rare, animés de personnages – une scène de chasse en hiver côtoie des joueurs de go, un artiste peignant et un combat de coq et d’oiseaux. Outre ces détails virtuoses, le décor se distingue par son relief, preuve du haut savoir-faire de l’atelier dont il émane. « Il faut appliquer la sève de l’arbre urushi en d’innombrables couches successives, en la laissant sécher et en la ponçant à chaque passage, pour arriver à une telle épaisseur de décor, contrairement à la plupart des autres laques arrivés à la même époque du Japon qui restent plates », explique Aymeric Rouillac.

A l’intérieur de ces coffrets, les artisans aménageaient des compartiments secrets pour accueillir divers accessoires adaptés aux usages européens. « Notre coffret a probablement été agrémenté en Europe au XVIIIe siècle d’accessoires en cristal, argent ou or pour en faire un nécessaire à écrire, de toilette ou un coffre à bijoux », note le commissaire-priseur. Ouvert, le coffre révèle un décor d’enfants aux lanternes. « Il était anciennement foncé d’un miroir, il s’agit ainsi en quelque sorte d’un vanity case de luxe fabriqué au Japon pour les Européens ». Sous l’Ancien Régime, ces coffrets en laque de petite taille étaient principalement destinés à une clientèle féminine. Madame de Pompadour possédait au moins trois coffrets similaires en laque noir et or, pour conserver ses bijoux, écrire ou dissimuler ses pièces d’or. « On trouve également au château de Versailles la collection de boîtes en laque du Japon de la reine Marie-Antoinette, mais aucune n’est aussi luxueuse que notre exemplaire », précise Aymeric Rouillac.

Les coffrets arborant de tels décors sont les exemples les plus luxueux qui nous soient parvenus. Ils étaient réservés à une élite fortunée et ne furent produits qu’à de rares exemplaires, qui font aujourd’hui la fierté des plus grandes collections d’Europe et du Japon. Dans leur ouvrage Japanese Export Lacquer 1580-1850, les historiens d’art Olivier Impey et Christiaan Jörg répertorient ainsi onze coffres à pagode à travers le monde. Si l’un des exemples les plus remarquables est le « Chiddingston casket » conservé à l’Amolean Museum d’Oxford, notre coffre est le seul dont les paysages soient agrémentés de personnages. « Comme sur les quatre grands coffres de Mazarin, à Londres, Amsterdam, Berlin et Moscou, de truculentes scènes de la vie du Japon ornent les panneaux de notre boîte », détaille Aymeric Rouillac pour qui la collection du Cardinal Mazarin n’a plus de secret depuis l’adjudication en 2013 d’un coffre spectaculaire en laque réalisé au début de l’ère d’Edo et acquis par le Rikjmuseum d’Amsterdam. « A l’inventaire de la collection de Mazarin, on trouve deux coffrets en vernis de la Chine, également en forme de pagode, dont l’un présente les mêmes colonnes aux encoignures », précise le commissaire-priseur. Notre coffret aurait ainsi pu faire partie de cette illustre collection. Il est estimé de 50 000 à 70 000 euros. A noter qu’un second coffre du Japon, en laque à fond rouge, s’invitera à la vente. Daté du milieu du XVIIe siècle, cette pièce de style Transition fait partie d’une commande prestigieuse passée par la V.O.C. et son représentant François Caron. Un coffre similaire, provenant de la collection de Frederik III de Danemark, est aujourd’hui conservé au National Museum de Copenhague.

Le marquis Boniface de Castellane par Rembrandt Bugatti

Si Rembrandt Bugatti (1884-1916) s’est davantage illustré par ses talents de sculpteur animalier, il saisit avec la même puissance et vivacité les traits de ses contemporains. En témoigne ce portrait du marquis Boniface de Castellane que l’artiste milanais exécute autour de 1912, parvenant avec justesse à traduire la force de caractère de son modèle qui, même dans l’adversité, chercha à se montrer digne de son plus illustre ancêtre, Talleyrand.

L’artiste, plus familier du Jardin des plantes, des zoos de Vincennes et d’Anvers, pénètre le temps d’un bref séjour les salons parisiens, guidé par le prince Paolo Troubetzkoy, un intime de la famille Bugatti qui l’initia plus tôt à la sculpture. C’est au détour de ces réceptions fastueuses qui animent la Belle Epoque qu’il rencontre Boni le marquis de Castellane, un collectionneur et esthète – de ces dandys excentriques que Marcel Proust décrit comme des « professeurs de beauté ». Lors d’une visite privée, il modèle ce portrait magistral du marquis en tenue de chasse à courre, dont il saisit les traits en un geste spontané et rapide – un dessin réduit à l’essentiel, pour mieux saisir l’âme et la prestance de ce grand seigneur.

La version en plâtre de ce portrait fut exposée à Paris en 1912 au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts. Bugatti n’a livré au cours de sa carrière que de rares portraits, « tous fondus en bronze, en tirage unique par le maître incontesté de la fonte à cire perdue Adrien-Aurélien Hébrard », note Véronique Fromanger qui a établi le Répertoire Rembrandt Bugatti, dans lequel le bronze sera prochainement inclus. Une estimation de 150 000 à 200 000 euros est annoncée pour ce tirage unique – pour rappel, moins de 10 portraits en bronze de Rembrandt Bugatti se sont frottés au marteau d’un commissaire-priseur.

Le dernier portrait peint par Renoir

C’est avec le doux visage d’Andrée-Madeleine Heuschling que se referme le riche corpus de portraits de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). La jeune femme, surnommée « Dédée », sera le dernier modèle du maître, figurant sur plusieurs toiles, à l’instar des Baigneuses du musée d’Orsay. « Elle a illuminé les dernières années d’un homme perclus par l’arthrite, immobilisé dans sa chaise roulante et aux doigts duquel il fallait attacher un pinceau pour qu’il puisse peindre », détaille Aymeric Rouillac.

Andrée a 19 ans lorsque Renoir immortalise pour la dernière fois sa beauté singulière. Cet ultime portrait, qui compte parmi les chefs-d’œuvre de la Garden Party, ne sera suivi que d’une seule œuvre, les Pommes, que l’artiste réalise deux jours avant de mourir chez lui, au domaine des Collettes à Cagnes-sur-Mer, le 3 décembre 1919. « Dans ce portrait d’Andrée au chignon, Renoir soigne particulièrement le visage, laissant le fond de la toile par endroits nu ou esquissé à larges coups de brosse, comme un testament intime à l’intention de son dernier modèle », décrit Aymeric Rouillac.

Andrée-Madeleine Heuschling (1900-1979) rencontre Renoir en 1915, par l’entremise d’Henri Matisse qui décèle dans ce visage sensuel une ressemblance étonnante avec « un Renoir ». La jeune femme devient dès lors la nouvelle muse du peintre, après Gabrielle. « Avec Dédée, Renoir poursuit sa quête inlassable de la sensualité féminine, détaille le commissaire-priseur. La moindre rose dans ses cheveux devient une allégorie de la beauté, et la nature au milieu de laquelle elle pose nue, une évocation de l’Antiquité rêvée. » « Qu’elle est belle ! J’ai usé mes vieux yeux sur sa jeune peau et j’ai vu que je n’étais pas un maître mais un enfant », déclare l’artiste.

Moins de deux mois après l’exécution du portrait, la jeune niçoise devient la muse du réalisateur Jean Renoir, qui l’épouse en janvier 1920 et entend l’ériger en vedette du cinéma français. Cet ultime portrait, publié dans le catalogue rétrospectif « L’atelier de Renoir » en 1931 par Bernheim-Jeune, est estimé de 300 000 à 400 000 euros, et côtoiera lors de la vente l’une des premières baigneuses de l’artiste, une toile datée de 1882 provenant de l’ancienne collection d’Ambroise Vollard.

Aux côtés de ces pièces d’exception, la Garden Party dévoilera également une sélection d’œuvres plus accessibles, d’une céramique émaillée d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse à un flacon centenaire de Romanée Conti. Florilège en images.
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