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Plein soleil sur les fraises

Samedi 23 mars 2024 à 07h

Pour marquer le changement de saison, Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, répond aux interrogations de Lionel du Berry sur son tableau de fraises.,



"Je suis content, c’est le printemps", chantonne Henris Dès, et avec lui la promesse de journées plus longues et ensoleillées ! Le tableau qui nous est présenté est une huile sur toile représentant un panier de fraises sur fond brun en camaïeu. Les fraises, rouges et juteuses, représentées en plan serré, sont fraîchement cueillies, et l’on distingue au premier plan une tige précipitamment arrachée et bourgeonnante. Les fraises, probablement de la variété Mara des bois, sont des remontants qui produisent des fruits de la fin du printemps jusqu’aux premières gelées. Notre tableau a probablement été réalisé pendant cette période. Son propriétaire nous interroge sur la date de réalisation de cette nature morte, pourrait-elle dater du 18e siècle, comme il le suggère ?

Les représentations d’objets inanimés issus de la faune et la flore sont communément appelées des « natures mortes ». Elles évoquent la vie silencieuse des choses qui nous entourent et rythment le cycle de la vie. Ce genre pictural se développe en Hollande au 17e siècle, succédant à la peinture religieuse, et se répand à la cour de France sous le règne de Louis XV. De grandes représentations de tables garnies et de bouquets fleuris viennent ainsi chanter les plaisirs de la cour.
Les peintres font des arts de la table un sujet de prédilection : c’est l’apogée du genre !

Des fruits très convoités

En effet, depuis le 17e siècle, les potagers offrent pour la noblesse une vitrine de leur prestige social. Ce sont de vrais cabinets de curiosités à ciel ouvert. Les fruits fondants, à l’image des fraises, sont très convoités, car ils permettent d’éviter la mastication bruyante, jugée inconvenante. Les aristocrates cherchent à consommer des fruits précoces ou tardifs afin de signifier qu’ils peuvent dompter la nature.

À ce titre, Jean-Baptiste de La Quintinie, agronome de Louis XIV, parvient, pour flatter les goûts du Roi-Soleil, à produire des fraises en mars. Mais celles-ci restent petites et peu sucrées. C’est Amédée-François Frézier, portant bien son nom, qui ramène en France au début du 18e, le fraisier du Chili. À son retour, il est nommé directeur des fortifications de Bretagne et ses quelques plants, brillamment exploités, donnent naissance à la fraise finistérienne de Plougastel.
Louis XV, qui en raffole, en fait planter au Trianon à Versailles. Elles sont dégustées en guise de collation au goûter, saupoudrées de sucre, en beignet ou en pâte de fruit, accompagnées de chocolat chaud ou de champagne. Quel délice ! Toutes les cours européennes jalousent ces mets raffinés. C’est ainsi que ce fruit, au nectar devenu célèbre, offre aux peintres un nouveau sujet d’exercice.

"Le panier de fraises des bois de Chardin

Votre toile, Lionel, est tributaire de cet engouement. Il est difficile, en l’observant, de ne pas la rapprocher d’un chef-d’œuvre du genre : Le Panier de fraises des bois de Jean-Siméon Chardin, virtuose des natures mortes au 18e siècle. Cette toile, acquise par le Musée du Louvre pour vingt-quatre millions d’euros, y est exposée depuis quelques mois.
Similaire dans son sujet, mais différent dans son traitement, votre «Panier de fraises » n’a probablement pas été réalisé à cette époque.

La toile ne présentant pas de signature à l’avant et l’absence de photo du revers nous empêchent de l’attribuer précisément à un artiste. La qualité de ce tableau, ainsi que la liberté de la touche, nous laissent penser qu’il s’agit de l’œuvre d’un peintre français du 19e, pour l’instant anonyme.
En l’absence de précision quant aux dimensions et à l’état de conservation, votre tableau pourrait être estimé aux enchères entre 80 et 100 euros . Un prix plus abordable que celui du Louvre, et qui nous rappelle que la fraise rayonne en Sologne, depuis 1980, avec la coopérative du Cadran de Sologne qui en produit 2.400 tonnes tous les ans.
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