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Le repos des moissonneurs

Samedi 16 septembre 2023 à 07h

Cette semaine, Dominique, de Cellettes, soumet à notre expertise une peinture champêtre. L’occasion pour Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cette œuvre.



“Dans le temps des semailles, apprends ; dans le temps des moissons, enseigne ; en hiver, jouis.” Ce vers du grand poète William Blake, tiré du Mariage du Ciel et de l’Enfer, démontre l’importance de la récolte du blé en Europe. Car si l’été est, pour la plupart des français, synonyme de vacances et de repos, cette période est en revanche cruciale pour les agriculteurs puisque c’est la saison des moissons, notamment celle du blé. « Domestiqué » par l’homme il y a plus de 10 000 ans en Turquie, le blé devient dès l’Antiquité une richesse essentielle en Europe. Au Moyen-Age, les techniques de fertilisation s’améliorent et les grandes propriétés agricoles voient le jour. Techniques qui continueront de s’améliorer jusqu’au XXe siècle, bientôt accompagnées de la mécanisation agricole à grande échelle dans les années 1950. Ces améliorations permettent, certes, un meilleur rendement, mais de tous temps, le travail aux champs est une tâche ardue et éreintante.

La condition paysanne a toujours inspiré les peintres. Brueghel l’Ancien, dès le XVIe siècle, dépeint la vie des laboureurs et éleveurs dans de nombreuses œuvres. Au XVIIe siècle, en France, nous pouvons citer par exemple la Famille de paysans dans un intérieur des frères Le Nain, conservée au Louvre. Mais c’est le XIXe siècle qui sera véritablement celui des peintres de la condition paysanne. En France, la réalité matérielle tend à supplanter le spirituel, et bientôt le courant réaliste, sous l’influence de Gustave Courbet, prend son essor et s’attache à représenter les petites gens. Parmi tous les grands artistes de cette période, comment ne pas citer Jean-François Millet, dont Les Glaneuses et L’Angélus, tableau le plus cher du monde à son époque, sont des chefs d’œuvres de la représentation du travail aux champs.

C’est dans ce contexte que votre panneau, chère Dominique, a été peint. On y voit un couple de paysans qui se repose quelques instants lors des moissons. Ils délaissent leur faux pour se concentrer sur un encas bien mérité. Cependant, il ne faut pas tarder à reprendre le travail, car le ciel sévère, au-dessus d’eux, menace de gâter le fruit d’une année entière de labeur. L’œuvre est signée en bas à droite. On reconnait le nom en rouge de Gustave Jundt. Ce peintre alsacien, né en 1830, se spécialise rapidement dans la peinture de paysages. Artiste reconnu, il expose régulièrement au Salon. Malheureusement pour lui, la guerre de 1870, remportée par les Prussiens, rattache son Alsace natale à l’Allemagne. Ses origines deviennent douteuses pour les critiques d’art, et les portes des Salons lui restent closes pendant plusieurs années. Jundt répond à cet ostracisme par une grande toile patriotique nommée Vive la France ! en 1872, et le tout Paris l’accueille de nouveau. Jundt meurt de maladie en 1884 et est enterré au Montparnasse, sous un monument funéraire réalisé par Auguste Bartholdi.

Votre panneau, Dominique, semble en excellent état. Sa provenance est sérieuse, puisque la galerie Bernheim Jeune, dont on peut voir l’étiquette au revers du panneau, était une institution dans la vente de tableaux modernes jusqu’à sa fermeture en 2019. Cependant, pour affiner notre estimation, il aurait été utile de nous préciser ses dimensions. Votre panneau pourrait trouver amateur aux enchères pour environ 500 €. Une coquette somme pour rendre hommage aux Hommes, qui par leur peine, nourrissent le monde.
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