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Johann Naldi, Profession chercheur de trésors

Mardi 30 mai 2023

Le Figaro, Anne-Emmanuelle Isaac

Ce galériste a acheté en 2013, à Drouot, un tableau inconnu de Gustave Courbet pour 650 euros. Il sera vendu dimanche, en Touraine au château d'Artigny, désormais estimé entre 300.000 et 500.000 euros.

Qui emportera la Grande Baigneuse de Gustave Courbet ce samedi 4 juin?
Rejoindra-t-elle une collection privée ou s’envolera t-elle vers les cimaises d’un musée à l’étranger ? Johann Naldi, qui a acheté aux enchères ce grand nu il y a dix ans pour la somme modique de 650 euros, ne sera pas en Touraine au château
d’Artigny où se déroule la vente, mais dans sa maison de banlieue parisienne derrière son ordinateur d’où il suivra l'adjudication.

Quel pronostic fait-il pour cette incroyable trouvaille désormais estimée entre 300 000 et 500000 euros?
«Aucun, c’est un immense pari», répond le galeriste dans un large sourire.
Assis à la table de sa salle à manger où le fameux tableau a trôné des années durant sur la cheminée familiale, Johann
Naldi - sympathique quadra aux yeux bleu azur et à la barbe argentée - est un drôle de marchand d’art. Rien ne le
prédestinait à embrasser cette carrière. Sans diplôme en poche, ni lignée familiale. Ses seuls atouts, une insatiable curiosité et un flair incroyable.

L’école n’est pas vraiment sa passion. D’ailleurs Johann Naldi quittera les bancs du lycée de Grasse sans son bac.

Ses centres d’intérêt à l’époque? Une fascination pour la poésie, la littérature et la musique du XIXe siècle mais étrangement pas du tout pour la peinture.
Naldi enchaîne les petits boulots. Un jour de 2003, son destin bascule. Employé dans un Ehpad, il pousse la porte
de la chambre d’un résident pour lui livrer son repas. «J’ai été bouleversé par cet enchevêtrement de dessins, de tableaux. » Ébloui, il vient de rencontrer le peintre belge Pierre Saint-Sorny. Le coup de foudre amical est immédiat entre les deux hommes que six décennies séparent. Le quasi-nonagénalre initie le jeune homme, qui n’avait jamais mis les pieds dans un musée, au processus créatif et à l’histoire de l’art. Avec la foi du nouveau converti, Naldi commence à fureter à la recherche d’œuvres d’art sur eBay, qui, en la matière, en est à ses balbutiements. II achète des dessins qu’il remet en vente sur le site en soignant particulièrement les prises de vue et la présentation. Sa première vente, un joli croquis signé Max Papart, atteignant un bon prix, Naldi entrevoit la possibilité de changer de vie et plaque son boulot pour se lancer à plein temps comme marchand on line, à une époque où cette activité est encore marginale.

Une autre grande découverte accélère son destin : l’hôtel Drouot, plaque tournante du marché de l’art. Nichée au
cœur du 9e arrondissement de Paris, près des grands boulevards, la célèbre salle de ventes est alors inconnue du
jeune homme. Naldi convainc Virginie, son épouse, de quitter le Sud pour déménager à Paris. II se spécialise dans la peinture du XIXe siècle jusqu’à devenir chercheur de trésors disparus. Car notre homme, qui se revendique comme un rêveur, croit aux miracles, aux œuvres qui ressurgissent du néant. Pour preuve, il a mis la main sur un carnet de dessins de
jeunesse de Delacroix, un portrait de Géricault, un paysage de Constable.

Prendre des risques

Un jour d’octobre 2013, dans l’antre de Drouot, où chaque année s’échange près d’un demi-million d’objets, un grand nu de femme alanguie au bord de l’eau aimante son regard. Le tableau, un peu crasseux, exécuté hâtivement à la brosse avec quelques coulures, représente une baigneuse nue, allongée sur un drap blanc au bord d’une rivière. En bas à gauche, en lettres rouges, une signature :Gustave Courbet. Visiblement, personne ne croit à l’authenticité de la toile sauf Johann Naldi qui emporte l’enchère pour quelques centaines d’euros.
Le marchand lance une batterie d’analyses (rayons X, ultraviolets et infrarouges) ainsi qu’une restauration complète de l’œuvre. Sept ans après, le Musée Courbet d’Ornans valide l’attribution du tableau à l’auteur de L’Origine du monde. Pari réussi pour celui qui passe pour un trublion auprès de ses pairs. Car Naldi s’oppose à la conviction répandue et admise que tout a été découvert en matière d’histoire de l’art, que celle-ci serait définitivement écrite.

« C’est aussi idiot que de dire qu’on ne va plus jamais découvrir de nouvelles planètes ni de squelettes de dinosaures.» Adepte du franc-parler, il juge son milieu imbécile, engoncé dans son dogmatisme. Naldi se définit plus comme un chercheur que comme un marchand, cette dernière activité lui permettant de financer ses découvertes ainsi que les longs et coûteux processus d’expertises, sans garantie de résultat. II aime prendre son risque, « le sel de mon métier», glisse-t-il avec gourmandise.
Sa plus grande découverte à ce jour ? Dix-neuf œuvres issues du mouvement avant-gardiste des Arts incohérents.
Sans eux, pas de mouvement Dada ni surréaliste, pas de Marcel Duchamp ou d’André Breton. Disparues depuis cent
trente ans, leur valeur est estimée aujourd’hui à 10 millions d’euros. «Les Arts incohérents ne figurent dans aucune
encyclopédie, ils ont été évacués. Pourtant, quand on plonge dans la presse de l’époque, de 1882 à 1893, on se rend
compte que c’était un mouvement établi avec des évènements structurés, ce n’était pas marginal
», raconte-t-il, passionné. Et d’en détailler l’esprit burlesque et irrévérencieux : «Tout le monde pouvait exposer. On tirait au sort pour savoir qui était le gagnant, des médailles de chocolat étaient distribuées.» Le premier monochrome et le premier ready made sont originaires de ce mouvement, quand l’histoire en attribuait la paternité jusque-là à Malevitch et Duchamp. Ça chahute la chronologie de l’histoire.

L’ensemble, classé trésor national en mai 2021 par le ministère de la Culture, sera-t-il acquis par un musée français?
Réponse début novembre. Pour l’heure, aucune information ne filtre. Le galeriste ne comprendrait pas que la France
laisse partir un tel trésor. La découverte qui a fait pas mal de brait dans le milieu lui a apporté, comme souvent, son lot
de rumeurs, d’inimitiés et de controverses. Des polémiques qu’il craint peu. II prépare d’ailleurs un nouveau coup :
la présentation d’un tableau qui résoudrait, selon lui, l’un des plus anciens cold cases de l’histoire criminelle. On
n’a visiblement pas fini d’entendre parler de Johann Naldi. ■

35e vente Garden-Party,
dimanche 4juin à 14 heure
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