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Chemise Talismanique, XVIIe siècle

Lundi 22 avril 2024 à 18h23

Inde Moghole

Inde moghole, XVIIe siècle
Rare chemise talismanique, recto
Portrait d'Alim Khan, Bibliothèque du Congrès
Inde moghole, XVIIe siècle
Rare chemise talismanique, verso

Inde moghole, XVIIe siècle

Rare chemise talismanique

en coton épais composée de six parties rectangulaires cousues ensemble, finement inscrites à l’encre noire, rouge et beige (possiblement une trace de peinture à l’or) de versets coraniques dans des compartiments carrés, de la Shahada dans deux grands rondeaux sur le devant, un verset de la Sourate Yusuf (XII, 64) au revers, et la litanie des Noms Divins de Dieu (al-asma’ al-husna) écrits en bihârî sur la bordure.

Haut. 51,5 Larg. 75 cm.
(usures, décor partiellement effacé, petites déchirures, coutures, manques - notamment une bande manquante sur la manche gauche - et taches).

Provenance d’après la tradition familiale :
- collection Mohammed Alim Khan (1880-1944), Boukhara, actuel Ouzbekistan ;
- collection Jamshed Khan, Qamari, Afghanistan ;
- par descendance, collection Mourid Ahmad, Strasbourg, France.

Présentation par Laure Soustiel

Portées à même la peau, sous les vêtements ou sous une armure, les chemises talismaniques étaient censées offrir une protection spirituelle et protéger de tout danger, maladie, envoûtement ou blessure, tant sentimentale que guerrière. Il semble d’ailleurs que leur fonction ait varié selon les périodes et les régions. Plusieurs exemplaires de chemises indiennes, ottomanes ou safavides sont parvenues jusqu’à nous, le plus souvent complètement recouvertes d’inscriptions coraniques, Noms de Dieux, prières, nombres et carrés magiques.

Une quinzaine de tuniques talismaniques indiennes datant de la période des Sultanats du XVe-début XVIe siècle ont été répertoriées par Eloïse Brac de la Perrière (« Les tuniques talismaniques indiennes d’époque pré-moghole et moghole à la lumière d’un groupe de Corans en écriture bihârî », in : Journal Asiatique, 297/1, 2009, pp. 57-81 et plus précisément pp. 62-63). Ces tuniques présentent un décor identique à celle présentée ici, tant dans l’organisation du cloisonnement des textes dans les carrés, les rondeaux et la bordure, que dans les inscriptions religieuses, mais elles semblent être faites d’un coton plus fin que celui de cette tunique.

La plupart de ces tuniques sont conservées dans d’importantes collections d’art islamique, telles que par exemple :
- Musée national des Arts Asiatiques-Guimet, Paris (no. inv. MA 5680), Inde XVe-début XVIe siècle ;
- Furusiyya Art Foundation (no. inv. R-785), Sultanat de Delhi, XVe siècle (voir le catalogue d’exposition L’Art des chevaliers en pays d’Islam. Collection de la Furusiyya Art Foundation, Bashir Mohamed (Ed.), Institut du Monde Arabe, Paris, 2007, cat. 322, p. 335) ;
- The al-Sabah Collection, Kuwait National Museum, Koweit (no. inv. LNS 114 T) Inde, probablement du XVIe siècle ;
- Metropolitan Museum of Art, New York (no. inv. 1998.199), Nord de l’Inde ou Deccan, XVe-début XVIe siècle.

Trois autres chemises indiennes semblables attribuées au XVIIe siècle sont également passées en vente publique à Londres chez Christie’s il y a plus de trente ans (21 novembre 1986, lot 84 ; 30 avril 1992, lot 78 et 27 avril 1993, lot 38).

D’autres chemises présentant une organisation des inscriptions légèrement différente sont conservées dans la Collection Khalili, dont deux attribuées à l’Iran safavide des XVIe-XVIIe siècles (no. inv. TXT 76 et TXT 77) et une provenant d’Asie Centrale, signée de la confrérie soufie Yasawiyyah (no. inv. TXT 230) (Voir David Alexander, The Arts of War. Arms and Armour of the 7th to 19th centuries, The Nasser D. Khalili Collection of Islamic Art, Vol. XXI, Nour Foundation, Azimuth Editions, Londres, 1992, cat. 33-34, pp. 78-80 pour les deux iraniennes et le mémoire de Killian Lécuyer, Les objets à valeur magique et apotropaïque en Asie Centrale. Recherches préliminaires et approche historiographique. Mémoire de Master 2 sous la direction de Eloïse Brac de la Perrière, Sorbonne Université, juin 2022, fig. 28, p. 68 et couverture pour la chemise d’Asie Centrale).

Dernier émir de la dynastie Manghit de l'émirat de Boukhara, en Asie centrale (1911-1920), Mohammed Alim Khan (Boukhara, 1880 – Kaboul, 1944) rêve une nuit qu’il recevra un cadeau qu’un Arabe lui apportera de la part du Prophète Mohammad. Deux jours plus tard, un Arabe se présente en effet aux portes de son palais, chargé de cette chemise talismanique, puis disparait mystérieusement. Après avoir été déposé par les Soviétiques à la fin du mois d’août 1920, Alim Khan se réfugie en Afghanistan, où il est hébergé une année durant par Jamshed Khan, gouverneur de Qamari dans la province de Kaboul, qui l’accueille comme un membre de sa famille. Jamshed Khan est probablement un descendant du célèbre officier Safavide Jamshed Khan qui dirigea le corps d’élite des qollar-aghasi (1663-1667), après avoir été gouverneur de Semnan (1646–1656), d’Astarabad (1656–1664) et de Qandahar (à partir de 1663). Alim Khan offre cette précieuse relique à son hôte avant de rejoindre Kaboul où il meurt vingt ans plus tard. Le petit-fils de Jamshed Khan, le chanteur Mourid Ahmad, petit-cousin du président Babrak Karmal, emporte cette chemise avec lui lorsqu’il quitte l’Afghanistan avec sa famille en 1990 pour l’Europe.

L’exposition « Sur les routes de Samarcande », qui se tient à l’Institut du Monde Arabe à Paris jusqu’au 4 juin 2023, débute par la présentation de plusieurs somptueux chapan du dernier émir de Boukhara, Mohammed Alim Khan, dont son chapan de couronnement qu’il porta lorsqu’il succéda à son père Said Abd al-Ahad Khan à l’âge de 31 ans. Le chapan (ou caftan), pièce la plus importante des costumes d’homme, est un manteau porté par-dessus les vêtements. La qualité des étoffes, la finesse d’exécution et la richesse des broderies d’or et de soie de ces chapan témoignent du luxe et de la sophistication de la vie à la cour de Boukhara au début du XXe siècle.
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