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…des petits trous, toujours des petits trous !

Samedi 15 avril 2023 à 07h

Éric de Saint Amand Longpré nous propose une étrange sculpture taillée dans la pierre. Mais est-ce bien l’objet qu’il prétend être ? Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, mène l’enquête.


D’une trentaine de centimètres de haut, en forme de pavé, votre objet est percé de neuf trous pour les deux faces et de quatre trous pour les côtés. La lumière pénètre l’objet et en ressort transformée. Mais qui en est l’auteur ? Est-ce une borne romaine ou plutôt une sculpture contemporaine… ? Le monogramme TA gravé en bas à droite de votre objet lève le voile. Il s’agit des initiales du sculpteur français Albert Tormos. Il est actif dans le sud de la France à partir des années 60. Son expression artistique se traduit par la fabrication de lampes taillées dans la roche ! Un système électrique permet de loger une ampoule au centre du bloc évidé. La lumière diffusée en ressort alors plus douce et chaleureuse. Cher Éric, l’effet produit par la lampe se rapproche des ambiances feutrées de nos habitations troglodytes typiques des coteaux des bords de Loire, et mieux encore du Loir.

Cela est d’autant plus vrai que la roche utilisée pour cette lampe est du calcaire ! Cette roche qui s’est formée exclusivement par l’accumulation de débris de coquilles et que l’on extrait toujours dans le Val de Loire ! En effet, dans cette grande famille de roches sédimentaires, nous connaissons peut-être mieux le tuffeau, qui sert notamment en architecture pour la fabrication des châteaux de la Renaissance. Le calcaire et le tuffeau présentent les mêmes avantages et les mêmes défauts. À l’inverse du marbre, ce sont des pierres tendres, faciles à sculpter. Albert Tormos ne choisit donc pas cette roche par hasard : il sait qu’elle est plus facile à évider.

Dès l’Antiquité, les artistes jouent de ces caractéristiques. L’exposition « Ramsès et l'or des Pharaons » qui s’apprête à ouvrir à la Grande Halle de la Villette, à Paris, présente plusieurs sculptures en calcaire. On pense notamment au très célèbre buste en calcaire peint de Néfertiti, réalisé par Thoutmôsis au XIVe siècle avant J.C. et actuellement conservé à Berlin. Cet extraordinaire portrait est sans doute la plus célèbre représentation féminine après La Joconde !

Albert Tormos produit essentiellement des lampes anthropomorphes ou zoomorphes, c’est-à-dire à l’apparence d’êtres humains ou d’animaux. Votre exemplaire est davantage le fruit de son époque. Tormos travaille dans le Sud et s’inspire des villas fantasmagoriques des années 1960-70, à l’image du concept de maison bulle développé par les architectes Antti Lovag, Claude Costy et Pascal Haüsermann, qui inventent une architecture organique où tant les pièces que les fenêtres sont rondes et percées de manière arbitraire. Les architectes mettent au point la technique du « voile de béton armé sans coffrage ». L’aspect rugueux des murs incurvés imite parfois la roche. L’exemple le plus célèbre est le Palais Bulles de Pierre Cardin, une villa de 1 200 m2 à Théoule-sur-Mer, au bord de la mer Méditerranée ! Les ouvertures arrondies de ces villas rappellent les trous percés de votre lampe, et la forme organique de l’objet s’inspire des formes libres caractéristiques des objets des années 60-70.

Le marché pour les objets seventies se porte bien. Cette époque festive et pleine d’insouciance touche les jeunes collectionneurs comme les nostalgiques. Ainsi, pour cette lampe d’Albert Tormos qui semble en bon état, nous pourrions articuler un prix autour de 200-300 euros… Peut-être davantage après un examen physique de l’objet. En attendant, nous pouvons toujours réécouter les tubes des Bee Gees ou de Cerrone en rêvant d’une villa disco avec vue sur… la Loire ! La fièvre et la lumière… du samedi soir !
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