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Quand Jeanne d’Arc entendait des voix…

Samedi 18 mars 2023 à 07h

par Aymeric Rouillac


Cette semaine, Patrick soumet à notre expertise un bronze représentant une jeune fille recueillie. Grâce aux indices laissés par les différents cachets, notre commissaire-priseur, Aymeric Rouillac, mène l’enquête et nous en dit plus sur l’histoire et la valeur de cet objet.

Sur vos photos, cher Patrick, nous lisons sur la base : « Barbedienne – fondeur ». Ferdinand Barbedienne (1810-1892) est le grand fondeur d’art du XIXe siècle français, qui reproduit des œuvres connues pour en mettre des copies sur le marché. Il existe évidemment plusieurs niveaux de qualité dans la fonderie d’art, et l’œuvre de Barbedienne est l’une des plus reconnue. Il est le spécialiste des musées parisiens, comme la très célèbre Vénus de Milo, permettant ainsi à de nombreuses personnes d’acquérir une petite reproduction pour une somme raisonnable. Surnommé le « Gutenberg de l’art », Barbedienne travaille avec les plus grands sculpteurs de son temps : Carrier-Belleuse ou encore la dynastie des Barye. Ces associations contractuelles de reproduction des artistes est à la base d’une véritable industrie de l’art.

Pour l’aider dans sa mission, Barbedienne s’associe avec Achille Collas (1795-1859). Ensemble, ils mettent au point un procédé breveté de réduction de sculptures en ronde-bosse. Pour ce faire, ils utilisent une machine appelée « pantographe ». L’appareil, qui présente un bras articulé, permet de reproduire un dessin ou une forme en trois dimensions à une échelle exacte, inférieure ou supérieure, tout en conservant ses proportions. On peut voir sur vos photos, Patrick, le cachet de Collas. Les deux hommes obtiennent en 1844 une médaille d’argent lors de l’exposition nationale de Paris. L’art rejoint l’artisanat qui se transforme lui-même en industrie, sous l’impulsion d’un siècle où tout semble possible. La finesse de la production et des patines font la renommée des deux hommes.

Votre bronze s’intitule « Jeanne d’Arc à Domrémy ». Le modèle est créé par Henri Chapu (1833-1891). Grand Prix de Rome en 1855 et officier de la Légion d’honneur, Henri Chapu est un sculpteur et graveur reconnu et respecté. Et pour cause, il s’inscrit parfaitement dans le registre académique alors très en vogue en cette seconde moitié du XIXe siècle. Ce bronze est inspiré directement d’un modèle en plâtre présenté par l’artiste au Salon de 1870. Fort de la bonne réception de cette œuvre, il livre l’année suivante un important sujet en marbre blanc de Carrare qui est immédiatement acquis par l’État. L’œuvre est alors déposée au musée du Luxembourg, puis au Louvre, avant de faire un long séjour en Val-de-Loire, à la mairie d’Amboise, entre 1867 et 1998, pour revenir au Louvre et enfin au musée d’Orsay.

Cette sculpture qui aime le voyage retranscrit bien l’esprit de son temps. En effet, la représentation de Jeanne d’Arc n’est pas anodine. Elle intervient juste après l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par la Prusse, en raison de la défaite de Sedan qui voit les troupes de Napoléon III battues par celles du futur Kaiser Guillaume Ier de Prusse. La perte de ces territoires fait naître un regain d’affection pour la « Pucelle d’Orléans », qui devient une véritable icône nationale. Elle est celle que le monde implore pour récupérer les deux provinces perdues. Le nombre de ses représentations dans les arts explose. Les plus grands artistes s’efforcent de l’imaginer. Au total, ce sont 75 statues de Jeanne qui ornent les églises de la Lorraine restée française.

Mais alors, quelle estimation pour ce sujet qui convoque à la fois la grande Histoire et les plus grands artistes de son temps ? Réalisée dans une matière noble comme le bronze et offrant de belles dimensions (Haut. 70 cm.), elle saurait à l’évidence séduire un amateur à partir de 800 euros voire d’avantage, sans même entendre de voix !
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