Une tapisserie qui « fil » à l’anglaise !
Samedi 11 mars 2023 à 07h
par Philippe Rouillac
Cette semaine, Maryline et Fabien nous confient un mystérieux objet. Une tapisserie commémorant la traversée de la Manche par Louis Blériot ! Attachez vos ceintures, nous décollons avec notre commissaire-priseur, Philippe Rouillac, pour un voyage dans le temps !
Il est 4h15 en ce 25 juillet 1909, et Louis Blériot est déjà à bord de son avion, le « Blériot XI ». Le vent est tombé durant la nuit et le moment semble idéal pour relever le défi lancé par le journal britannique The Daily Mail : traverser la Manche à bord d’un aéroplane « plus lourd que l’air ». La récompense est de 1.000 livres sterling pour le premier aviateur qui réussit la traversée. Un montant considérable au début du XXe siècle, puisque cette somme représente 15 mois de salaire pour un ouvrier anglais ! Louis Blériot fait signe à son mécanicien et, sans boussole ni carte, s’élance dans les airs ! 40 kilomètres de mer séparent les côtes françaises des côtes anglaises. Une immensité sur laquelle seule la présence de petits bateaux lui indique l’arrivée à Douvres, en Grande-Bretagne !
Cette tapisserie, un carré de 50 cm. de côté commémore cet exploit et se lit à la manière d’une bande dessinée. À gauche, la Manche, la France et des bateaux pour lui donner le cap. Au centre de la tapisserie, c’est l’arrivée de Blériot ! Il aperçoit l'immense drapeau tricolore que son ami, le journaliste Charles Fontaine, déploie dans un champ pour qu'il sache où poser son engin. À droite, la foule arrive en courant pour l’accueillir, c’est le moment de l’atterrissage sur le sol anglais… Enfin, le château dans le lointain évoque l’accueil réservé par le roi d’Angleterre au pilote français.
Cette première traversée aérienne fait le tour du monde et Louis Blériot devient la nouvelle coqueluche des journalistes. Le décor de votre tapisserie semble d’ailleurs tissé d’après l’illustration de couverture du « Supplément illustré du Petit Journal » du 8 août 1909 ! Une tapisserie qui copie une couverture ? Rien de très étonnant… la tapisserie a toujours été le moyen privilégié pour agrandir une image ! Déjà au Moyen Âge, une autre « tapisserie » dite de Bayeux relate une autre traversée britannique, la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant au XIe siècle, toujours à partir des côtes normandes. Mais la technique de votre tapisserie n’a rien à voir avec ces modèles anciens tissés à la main sur des métiers de hautes ou basses lisses. Elle est issue d’une production mécanique. En effet, après la Révolution la tapisserie tombe en désuétude. Les productions coûteuses et lentes ne conviennent plus à une société de plus en plus pressée : c’est la révolution industrielle. Au XIXe siècle, grâce au perfectionnement technique, les fabricants remplacent l'onéreuse main-d’œuvre humaine par la machine. Votre tapisserie a probablement été tissée au moyen d’un métier dit « Jacquard » et les couleurs ne sont pas issues de produits naturels mais de la chimie. Ces nouveaux procédés permettent de tisser de manière multiple. En 1801, son inventeur mit au point cette machine pour limiter le travail des enfants dans les ateliers…
Votre tapisserie est ainsi un heureux mélange de tradition, modernité, exploits et surtout légèreté incarnant si bien la Belle Époque ! Grâce à ce genre d’objets, l’exploit de Blériot se répand dans toute l’Europe. On fait de lui un inventeur de génie, un touche à tout à la manière d’un Léonard de Vinci ! Son envolée à bord d’un aéroplane marque à jamais une nouvelle ère : celle de la mondialisation et de l’industrialisation. Ainsi, pour cet objet intéressant mais aux couleurs très passées, nous pourrions articuler un prix autour de 80 € seul et 200 € si vous aviez son pendant : « le départ de Calais »… pas de quoi s’envoler au-dessus des mers, mais assez pour filer sous la Manche à bord de l’Eurostar !