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Étain vaut mieux que deux tu l’auras

Samedi 10 décembre 2022 à 07h

par Philippe Rouillac

Cette semaine, Pierre, de Romorantin, soumet à notre expertise une petite bouteille en étain. L’occasion pour Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de nous en dire plus sur l’histoire et la valeur de cet objet.

« Je ne connais pas non plus les îles Cassitérides, d’où l’on nous apporte l’étain. Ce qui est certain, c’est que l’étain et l’ambre nous viennent de cette extrémité du monde ». Ces îles mythiques, citées ici par Hérodote et situées par Strabon au large des côtes ibères, montrent l’importance du minerai de cassitérite, ou étain, dès l’Antiquité. Ce métal pauvre, facile à travailler et qui entre dans la composition de nombreux alliages, est facilement reconnaissable à sa couleur gris argent assez mate, noirâtre, comparée à des métaux plus nobles tel l’argent. Des objets très variés sont produits en étain, de la vaisselle, bien sûr, mais aussi de nombreux objets de décoration. Sa faible toxicité en fait également un emballage idéal pour les produits de consommation. Jusqu’au XXe siècle, période à laquelle il sera petit à petit remplacé par l’aluminium, l’étain protège viandes, fromages, conserves, mais aussi dentifrice ou peinture. Aujourd’hui, l’étain a presque disparu des circuits de conservation alimentaires.

En France, les pièces d’étain portent un poinçon dès le XIVe siècle. L’artisan qui travaille le métal, ou « potier d’étain », comme on l’appelle alors, appose son poinçon sur ses meilleures pièces, dites « de bon aloy ». Sous le règne de Louis XIV, on fait la distinction entre étain fin, utilisé pour les plus belles pièces, signalé par le poinçon « F » et étain commun, au poinçon « C ». A partir de la Révolution française, les poinçons d’étain perdent peu à peu de leur valeur légale, sauf pour les pièces aux alliages les plus pauvres, qui servent notamment pour les bougeoirs et les chopes. A la Révolution toujours, les mois de Frimaire et Nivôse, à la jonction desquels nous sommes actuellement, sont représentés dans la symbolique républicaine par l’étain, probablement en raison des mornes nuages qui donnent une coloration si dure aux cieux. Au cours du XXe siècle, quelques petites entreprises françaises fabriquent des pièces en étain, notamment des refaçons d’objets anciens. L’étain utilisé est poinçonné sous la base « étain 95% », accompagné du poinçon du fabriquant.

Votre objet, Pierre, est une sorte de petite carafe hexagonale, avec un bouchon à vis. Chaque face semble être décorée d’un Saint, ce qui pourrait être un indice quant à ses origines religieuses. Vous nous disiez dans votre courriel que vous pensiez qu’il s’agissait d’une gourde de pèlerin. C’est tout à fait possible, des objets semblables ayant été produits pour conserver l’eau, voire le vin des marcheurs qui autrefois traversaient l’Europe à pied pour se rendre sur le tombeau des Saints, tel celui Saint Jacques. Près des lieux saints de par le monde se situe généralement une fontaine, une source dont on puise et rapporte de l’eau dans une gourde, tel ce récipient à décor religieux. Songeons à l’eau de Lourdes…

Cependant, votre objet est une création récente, copiant un modèle de gourde plus ancien. En effet, le poinçon « étain 95 % », visible en dessous, indique que l’objet date du XXe siècle, comme nous l’avons précisé précédemment. Le fabriquant est une entreprise nommé les étains du Grand-Duc, symbolisée par un poinçon hibou. Cette entreprise, active dans la seconde moitié du XXe siècle, s’est spécialisée dans l’imitation de pièces anciennes, des copies. Si votre objet, Pierre, est assez joli, sa valeur reste décorative, car ces objets en étain ne sont ni précieux, ni rares, encore moins de collection. C’est pour cela qu’une estimation aux alentours de 15 euros semble raisonnable. De quoi s’offrir un verre de vin chaud pour résister aux affres du froid glacial de Nivôse !
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