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Les confitures mi-figue mi-raisin de François Ier !

Samedi 26 novembre 2022 à 07h

par Philippe Rouillac

Cette semaine, Jean-Jacques de Blois nous fait parvenir la photo d’un petit meuble dont il aimerait connaître l’histoire. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.

Cher Jean-Jacques, dois-je vous rappeler que la gourmandise est un vilain défaut ? Vous nous soumettez à la tentation en nous proposant cette semaine un : confiturier ! Il s’agit d’un meuble de rangement de petite taille, généralement à une porte comme le vôtre, mais parfois à deux. Souvent profond, il sert à ranger les pots de confiture et accessoirement les bouteilles d’alcool dans la partie basse.

Votre confiturier est en bois naturel, du chêne teinté. Il mesure très probablement 120 centimètres de hauteur par 60 de profondeur. Il présente un riche décor sculpté. L’abattant est ceint d’une frise feuillagée, tandis que le ventail articule un décor autour d’un médaillon central : frise de perles, bouquets, rinceaux, dauphins et profil d’une mystérieuse jeune femme. L’ensemble repose sur un soubassement à doucine.

Les blésois et autres amateurs de l’architecture du Val de Loire reconnaîtront dans ce décor celui des châteaux de la Renaissance française ! Son décor de rinceaux n’est pas sans rappeler ceux que l’on peut admirer sur l’aile François Ier du château de Blois. Au XVIe siècle, les artisans en meubles s’inspiraient de l’architecture pour décorer leurs créations. Mais alors, ce meuble a-t-il conservé les confitures, marmelades et autres douceurs servies à la table de François Ier ? Hélas, mon cher Jean-Jacques, je crains fort que non. D’une part, la qualité du décor ne permet pas de rattacher ce meuble aux productions de l’époque de la Renaissance. Il est une interprétation stylisée de cet art des Valois. D’autre part, ce type de meuble n’existait pas au XVIe siècle ! Il semblerait, en effet que le confiturier trouve sa place dans les intérieurs français à partir de la fin du XVIIIe siècle.

Peu de mobilier dit « Haute Époque », expression employée par le marché de l’art pour désigner des meubles et objets d'art datant ou faisant référence au Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIe siècle, ont survécu… La faute aux guerres, incendies et déménagements successifs des princes et rois… Les plus beaux exemples se trouvent aujourd’hui conservés dans des musées. L’un des chefs-d’oeuvres en la matière est le dressoir dit d’Arconati-Visconti exposé au musée du Louvre. Mais l’origine de ces meubles, véritables dinosaures du mobilier, est toujours difficile à établir. Daniel Alcouffe, le grand conservateur du Louvre, n’a jamais su trancher pour ce dressoir : Flandres ou France !?

Pour votre confiturier, si hésitation il y a, c’est davantage entre confiture d’abricots et de fraises ! Il s’agit bel et bien d’une production du XIXe siècle, voir du début du XXe siècle, avec du « bois neuf », sans réemploi de bois plus ancien comme tel c’est parfois le cas. C’est une période où l’aristocratie, les artistes et les auteurs se passionnent pour le Moyen-Âge et la Renaissance. Victor Hugo écrit « Notre-Dame-de-Paris » et Marie d'Orléans se fait construire un appartement néo-gothique aux Tuileries ! La production de meubles est industrieuse et les réemplois sont fréquents. Pour ce confiturier à la manière des productions de la Renaissance, nous pourrions articuler un prix autour de 50 euros… Pas de quoi se prendre pour François Ier… Mais plutôt de quoi s’offrir tartines, chocolat chaud et surtout : des confitures !
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