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Défense d’y voir !

Samedi 26 février 2022 à 07h

Cette semaine, Barbara de Reims nous propose une épatante sculpture. Notre Commissaire-Priseur Philippe Rouillac nous donne son avis.



Cette œuvre d’une trentaine de centimètres de hauteur a été sculptée dans de l’ivoire, plus précisément dans la pointe d’une défense d’éléphant d’Afrique. À ne pas confondre avec l’ivoire de l’éléphant d’Asie ! La partie basse de cette sculpture représente un buste de femme richement vêtue et ornée de bijoux, tandis que sa partie sommitale n’est pas travaillée. L’artisan tient à souligner le support de son travail : la défense. C’est un travail très certainement réalisé en Afrique dans la seconde moitié du XXème siècle. Votre objet, chère lectrice, nous donne l’occasion de nous interroger sur cette précieuse matière qu’est l’ivoire. Et, surtout, de faire le point sur son commerce, lequel est fort heureusement de plus en plus réglementé.

Si l’on associe traditionnellement l’ivoire aux éléphants, il est intéressant de noter qu’au cours des siècles, les artisans et artistes vont sculpter l’ivoire d’hippopotame, de mammouth, de morse, de narval et même de sanglier… ! Il existe donc des ivoires dits « marins » et des ivoires dits « terrestres ». Mais il est vrai que l’éléphant et ses défenses blanches est certainement l’un des animaux qui a le plus fasciné les rois. Déjà utilisés lors des Guerres puniques avec Hannibal en 200 av. J.-C, ils ont été popularisés quinze siècles plus tard avec le fameux « Babar » de Jean de Brunhoff en 1931 !

Le premier éléphant à arriver en Europe débarque à Lisbonne au milieu du XVIe siècle et meurt transpercé par un rhinocéros ! Un siècle plus tard, Louis XIV installe un éléphant du Congo dans sa ménagerie de Versailles. Heureusement, la vie de celui-ci est plus douce que celle de son ancêtre portugais. On connaît d’ailleurs précisément son régime quotidien de luxe : « 80 livres de pain, 12 litres de vin, une grosse portion de soupe de légumes avec du pain et du riz et aussi de l'herbe à volonté » !

Mais, très vite, les éléphants sont traqués pour leurs défenses. Facile à sculpter, d’un poli extraordinaire, l’ivoire est très recherché. Dès la Renaissance, on parvient à le ramollir et à l’aplanir, notamment avec de l’huile d’amande ! Les artisans l’utilisent ainsi pour le plaquer sur des meubles, ils créent des jeux de marqueterie ivoire/bois aux contrastes forts, comme avec les cabinets indo-portugais. Mais une défense d’éléphant d’Afrique peut atteindre 3,5 m de long ! Comme c’est le cas avec votre sculpture, certains artisans avec beaucoup d’habilité vont chercher à tirer parti de cette belle longueur. La partie centrale molle, évidée, permet par exemple de créer de fabuleux olifants, c’est-à-dire un cor utilisé à la chasse ou à la guerre. Si vous voulez en voir un tout à faire remarquable, datant du XVIème siècle, rendez-vous au musée-château d’Écouen. Malheureusement la finesse d’exécution de cet olifant n’a rien à voir avec votre œuvre.

Certes, votre ivoire ne date pas du XVIème siècle, mais plutôt du XXème siècle, d’ailleurs il y a fort à parier que vous ne possédiez pas de document permettant de dater la création de cette sculpture. C’est là le problème majeur de votre œuvre… L’ivoire fait l’objet d’une réglementation stricte. Il est formellement interdit de vendre des ivoires travaillés après 1947. Toutefois, il existe des dérogations à titre exceptionnel pour l’ivoire présent dans certains objets, comme par exemple les cabinets en marqueterie d’ivoire et d’ébène. La vente d’objets ornés d’ivoire est en effet possible si celui-ci pèse moins de deux cents grammes ou si son volume est inférieur à 20 % de celui de l’objet.

Malheureusement, votre sculpture ayant très certainement été travaillée par la main de l’homme dans la seconde moitié du XXème siècle ne peut être revendue. Si la saison de chasse arrive bientôt à son terme, fort heureusement la chasse africaine ou plutôt le braconnage des éléphants est en effet endigué depuis maintenant plus de 70 ans ! Fini le temps des chasses africaines contées par Ernest Hemingway, les réseaux de contrebande sont traqués et nous mettons en garde les acheteurs d’ivoire : de nos jours, un certificat doit obligatoirement être fourni lors de sa vente.

Chère lectrice, vous l’aurez compris, sans document votre sculpture est invendable et très litigieuse. Si elle avait été sculptée au XIXème et plus finement, nous aurions pu articuler un prix autour de 150 euros... Dommage, mais vous pouvez toujours vous consoler en allant observer ces animaux majestueux dans la plus grande plaine à éléphants de France, loin de Reims, mais dans le Val de Loire, au Zoo Parc de Beauval !
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