FR
EN

Armoire, ma belle armoire

Samedi 30 mai 2015

Cette semaine, Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, répond à Arlette qui nous écrit de Haute-Vienne. Elle souhaite obtenir plus de renseignements sur une armoire qui lui vient de sa grand-mère, née en 1902.

L’armoire ! Ce meuble emblématique de nos grands-mères trône dans les maisons depuis le XVème siècle, époque à laquelle il remplace le coffre. On y range de tout comme le linge précieux et la vaisselle, mais également de quoi susciter la convoitise des enfants : chocolat et confitures… Certaines sont célèbres, à l’image de la plus vieille d’Europe, conservée à Aubazine (Corrèze), qui date de la fin du XIIème siècle. Citons également la fameuse armoire de fer, un coffre-fort secret aménagé dans les appartements de Louis XVI aux Tuileries. Le Roi y mettait en sûreté ses archives secrètes. Son contenu, révélé en 1792, précipite la chute du monarque et provoque la disgrâce – post mortem - de Mirabeau. En effet, sa correspondance avec le Roi, inconnue jusqu’alors, lui coûte sa place au Panthéon. A priori, point de secrets d’État dans l’armoire d’Arlette. Des trésors ? Peut-être ?!

De forme rectangulaire, haute mais peu large, elle reçoit probablement un placage noyer teint dans le but d’imiter la couleur rouge de l’acajou. Ce procédé, fort courant, est rendu possible grâce à la grande similitude de grain entre le roi des bois exotiques et notre cher fruitier indigène. Des moulures viennent rythmer et structurer l’ensemble. La corniche mouvementée est dite en « chapeau de gendarme » car elle rappelle la forme qu’adoptait autrefois la coiffe de la maréchaussée. Elle ouvre en façade par un tiroir en partie basse et une porte foncée d’un grand miroir de forme ovale. Cet élément nous renseigne de façon incontestable sur l’utilité de ce meuble : il s’agit d’une armoire de chambre. On y range les habits et, après les avoir passé, on se mire à loisir dans la glace. La penderie aménagée à l’intérieur nous apporte d’ailleurs une preuve supplémentaire.

Quoi de plus normal aujourd’hui que de se contempler dans un miroir. Chacun d’entre nous le fait – au moins - une fois par jour, mais voilà une chose qui n’a pas toujours été aussi évidente ! Le premier miroir est l’eau, Narcisse en sait quelque chose. Mais, sous l’Antiquité, période à laquelle se déroule ce mythe, les élégantes utilisent une plaque d’argent ou de bronze poli pour admirer leur figure. Le miroir en verre doublé d’un tain tel que nous le concevons aujourd’hui naît au Ier siècle dans une province de l’Empire Romain correspondant au Liban actuel. Il faut attendre la Renaissance pour que la technique soit développée et améliorée en Occident. On double alors le verre d’une couche d’étain-mercure. Au XVIe siècle, c’est Venise qui domine le marché européen de ce produit extrêmement luxueux et donc hors de prix. Et la République des Doges garde jalousement son secret de fabrication. Imaginez un peu le beau caillou dans la chaussure de Colbert qui doit financer la construction de la Galerie des Glaces de Versailles en 1679…Il faut 357 glaces, devant garnir 220 m² !!! Du jamais vu ! Le coût est inouï, sans compter la casse occasionnée par un long transport… Pour le ministre de Louis XIV, pas questions de passer à la caisse ! Il utilise tous les moyens possibles (espionnage, corruption…), et parvient à faire venir des ouvriers italiens en France, leur promettant de l’or, des femmes et une exemption de l’impôt. C’est autour d’eux que naît la Manufacture Royale de glaces de miroirs, la future Saint-Gobain. Elle produira les miroirs de la Galerie des Glaces, contentant ainsi le Roi et son ministre ! À la fin du règne deLouis XIV, le monopole vénitien n’est plus et c’est la France qui exporte ses miroirs dans l’Europe entière. Colbert interdit d’ailleurs purement et simplement l’importation de produits vénitiens. Et toc !

Malheureusement, l’armoire de notre lectrice ne date pas de la fin du XVIIème siècle… mais de la fin du XIXème ! Ces meubles, bien que de qualité, ne sont plus à la mode et n’ont plus leur place dans les appartements modernes, équipés de placards intégrés. Ainsi, même en bon état, il vous sera difficile d’en obtenir plus de 150 € en brocante. Chercher bien, peut-être un trésor caché par votre grand-mère dort encore entre deux piles de draps… !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :