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Alain Porée le héro corsaire oublié

Jeudi 24 septembre 2020

Le Pays Malouin, Nicolas Evanno

Surcouf et Duguay-Trouin sont loin d’être les seuls corsaires malouins à avoir brillé sur les mers. Il y a aussi Alain Porée, dont on reparle aujourd'hui... grâce à un médaillon !

Mercredi 16 septembre, dans le jardin de la Malouinière La Bardoulais, à Saint-Méloir-des-Ondes. Plus d’une centaine de personnes sont venues admirer un petit médaillon.

Pas n’importe lequel : celui-ci est orné de vingt diamants de la couronne et sur l’une de ses faces est représenté un profil de Louis XIV. Un tel objet, le roi Soleil avait pour habitude d’en offrir à ses plus loyaux sujets.

Celui-ci échut à l’un des plus célèbres corsaires de Saint-Malo : Alain Porée.

« Plusieurs fois blessé, jamais fait prisonnier »

Celui-ci a même été récompensé par deux autres objets : deux épées d’honneur offertes, l’une par Louis XIV, l’autre par son successeur Louis XV.

Une marque d’honneur rarissime.

À Saint-Malo, seul Duguay-Trouin, contemporain d’Alain Porée, en reçut une également. Mais qui était donc ce marin pour mériter tant d’attention ?

Né sur le rocher en 1665, d’une famille de la bourgeoisie malouine, il était l’avant dernier d’une fratrie de quatorze enfants.

« Autant dire que personne ne faisait attention à lui », souligne Jean, l’un de ses descendants. « Il a donc dû construire sa carrière tout seul ».

Un cauchemar pour les flottes anglaises et hollandaises

Il commande son premier navire en 1689 et rapidement s’engage dans la guerre de course. « Il avait ce côté « tête brûlée » à l’image de Duguay-Trouin, surtout dans sa jeunesse. Mais il conservait tout de même une certaine prudence. Il sera plusieurs fois blessé, mais jamais il ne perdra un bateau et ne sera fait prisonnier ».

Par contre, il capture de nombreux navires : 27 rien qu’entre 1693 et 1697. Un cauchemar pour les flottes anglaises et hollandaises. Une aubaine pour le roi de France et ses finances.

On ne dispose pas de portrait d’Alain Porée, mais le site Internet de la malouinière de La Bardoulais affiche cette image de combat naval entre deux navires de tailles très différentes, donnant une idée du fait d’armes le plus célèbre d’Alain
On ne dispose pas de portrait d’Alain Porée, mais le site Internet de la malouinière de La Bardoulais affiche cette image de combat naval entre deux navires de tailles très différentes, donnant une idée du fait d’armes le plus célèbre d’Alain Porée : la prise du Dartmoor. (©DR)

La prise du Dartmoor, un succès retentissant

En 1695, à 30 ans, Alain Porée est déjà un corsaire reconnu et redouté. Mais un fait d’armes particulièrement retentissant va le faire entrer dans la légende. Un exploit à la hauteur de la prise du Kent par Surcouf, près d’un siècle plus tard.

Le 14 février, il s’empare du Dartmoor. Il ne s’agit pas d’un navire de commerce, mais d’un puissant vaisseau de guerre anglais. Commandant le Saint Esprit, il est aidé par l’un de ses frères, qui commande le François d’Assise, une autre frégate malouine.

Les deux navires malouins, avec leurs 34 canons légers, font figure de Lilliputiens face au colosse anglais, bien plus haut sur l’eau, disposant de plus d’hommes et de 50 canons lourds. Après deux abordages sanglants, les corsaires vont pourtant remporter la bataille.

Il défend sa cité

L’écho de ce combat va retentir jusqu’aux oreilles du souverain. Idem de l’autre côté de la Manche, mais pas avec le même engouement évidemment…

Les Anglais vont d’ailleurs rapidement recroiser Alain Porée, lors de l’attaque de Saint-Malo quelques semaines plus tard, où le corsaire participe activement à la défense de sa cité.

On comprend mieux pourquoi Louis XIV, l’année suivante, lui fait remettre le précieux médaillon. Un bijou à la portée symbolique forte, qui va être vendu aux enchères le 4 octobre 2020.

Le bras emporté par un boulet

Pendant de nombreuses années, Alain Porée continuera ses exploits. Malgré plusieurs blessures, dont l’une lui coûtera un bras, emporté par un boulet ! Ceci dit, le capitaine corsaire était aussi un homme d’affaires avisé.

Il se livrera au commerce interlope, notamment avec l’Amérique du Sud. Ce qui lui permettra de s’enrichir, de se faire construire un hôtel particulier dans la cité corsaire (1).

Sur les mers, ce n’était pas seulement un combattant, mais aussi un brillant marin. Il corrigera ainsi des cartes du passage du Cap Horn lors d’un voyage.

Il s’éteint en 1730 à Saint-Malo, riche et célèbre. Une figure malouine pourtant tombée dans l’oubli au fil des siècles, si ce n’est dans les pages de nombreux écrits savants.

« Il ne s’est jamais intéressé véritablement à la politique et il n’a pas écrit ses mémoires, indique Jean. Nous n’avons pas non plus de portrait de lui. J’ai tout de même retrouvé une description dans un livre : petit, teigneux et avec des balafres ! »

Un Monsieur de Saint-Malo, sans aucun doute !

(1) Il détenait plusieurs propriétés, dont le domaine de la Bardoulais, hérité de sa famille.

Philippe et Aymeric Rouillac présentent le médaillon d’Alain Porée. (©Le Pays Malouin)
Philippe et Aymeric Rouillac présentent le médaillon d’Alain Porée. (©Le Pays Malouin)

Le médaillon mis aux enchères le 4 octobre

Pendant plus de trois siècles, le médaillon d’Alain Porée a été conservé au sein de sa famille. Aujourd’hui, peu de ces bijoux ont conservé leur aspect originel : « Il reste trois médaillons encore ornés de diamants de la couronne. L’un est conservé au Louvre, l’autre au musée de Bologne et le troisième est celui-ci », expliquent Philippe et Eymeric Rouillac.

Tous les deux dirigeront la vente aux enchères qui se déroulera le dimanche 4 octobre au château d’Artigny en Touraine. Le médaillon d’Alain Porée sera sans doute l’un des objets les plus convoités. La mise en vente commencera à 50 000 euros. Des musées mais aussi des particuliers se seraient déjà montrés intéressés.

On peut toutefois s’interroger sur l’intérêt pour la famille de vendre un tel objet. Jean, le descendant d’Alain Porée et propriétaire actuel, s’en explique : « J’ai un sentiment partagé. Je me souviens que ma mère le portait de temps en temps… Quand j’ai redécouvert l’objet, à la mort de mon père, j’ai retracé la vie rocambolesque d’Alain Porée. J’aurais pu garder le médaillon. Mais pour qu’il reste oublié dans une armoire et soit vendu un jour de manière anonyme ? Nous avons préféré organiser cette vente, qui permet au moins de mettre en avant Alain Porée ».
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