Tic-Tac et Tchou-Tchou
Samedi 29 mars 2014
Cette semaine un fidèle lecteur souhaite en savoir plus sur « la montre de cheminot » de son arrière-grand-père. Maître Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, lui en livre les secrets.
Communément appelée « régulateur de chemin de fer », cette montre d’un diamètre d’environ 6 cm, appartient à la famille des montres de gousset. Reconnaissables à leur remontoir (ou couronne) situé en partie supérieure, elles tirent leur nom de la petite poche du gilet dans lequel on les glissait, retenues par une chaîne. Le cadran, émaillé blanc, indique les heures en chiffres romains dans des pastilles émaillées bleu translucide et les minutes en chiffres arabes. Caractéristiques d’une production du début du XXème, ces cartouches d’émail donnent à cette montre un côté opulent et riche, qui se trouve accentué par la locomotive qui en orne le fond. Un petit cadran secondaire indique les secondes. Le boîtier en acier patiné est agrémenté d’un cerclage de laiton figurant une frise de fleurons et de losanges. Il n’en faut pas plus pour conclure que ces montres haut-de-gammes ont indispensables au bon déroulement du trafic ferroviaire.
Mais les objets parfois nous trompent… Jamais une seule de ces montres n’a contrôlé la bonne marche des trains ! En 1891, aux États-Unis, deux trains entrent en collision frontale. La montre d’un des conducteurs avançait de 5minutes, lui faisant engager sa machine au mauvais moment : 9 morts… Suite à ce drame, les compagnies ferroviaires du monde entier dotent leur personnel de montres très précises dont le boîtier porte un numéro et le nom de la compagnie. Certains horlogers vont bientôt profiter de l’excellente réputation de ces montres. Ainsi naissent ces « régulateurs » qui vont se répandre par phénomène de mode. Fabriqués dans le Jura français et en Suisse puis vendus par des colporteurs, ils sont robustes mais le soin apporté à leur conception laisse à désirer. Le terme « régulateur », laisse entendre à son propriétaire que sa montre est d’une grande précision, ce qui n’est pas vraiment le cas… Ces montres fantaisies pouvaient cependant, à titre personnel, appartenir à un cheminot. Ce dernier, profitant de l’aspect luxueux de cet objet, donnait fièrement l’heure, le regardant de loin du bout de sa chaîne. Elles pouvaient également faire la fierté d’un particulier de la classe moyenne dupé, convaincu d’avoir dans son gousset une montre de la plus grande fiabilité…
La montre de notre lecteur est, sans conteste, un bel objet. Du moins en apparence. Son histoire est riche mais malheureusement elle n’est pas rare, son verre est accidenté et elle fonctionne mal. De plus, son manque au niveau du nombre 20 est rédhibitoire pour un collectionneur. Comptez environ 100 € aux enchères contre le double pour la même montre en parfait état. Quoi qu’il en soit, remise en état de marche, elle sera assez précise pour vous permettre de ne manquer ni le changement d’heure, ni l’ouverture des bureaux de vote demain !