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Réunion de la famille Sainct-Même sous le Directoire

Lundi 01 juin 2020

par Aymeric Rouillac

Louis GAUFFIER (Poitiers 1762 - Florence 1801)
La cueillette des oranges,
ou Réunion de famille d'un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire
32e vente Garden Party
Attribué à Rémi-Furcy DESCARCIN (1747-1793),
"Portrait présumé de monsieur Gosselin de Sainct Même",
Toile, 92 x 71 cm (restaurations anciennes)
Vente à Vannes, Me Ruellan, 19 mai 2018, n°46, expert : Cabinet Eric Turquin, Paris
Louis GAUFFIER (Poitiers 1762 - Florence 1801)
Réunion de famille d'un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire
32e vente Garden Party (détail)
Louis GAUFFIER (Poitiers 1762 - Florence 1801)
La cueillette des oranges,
ou Réunion de famille d'un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire

Toile signée et datée (1797-98) en bas à gauche : "L. Gauffier / Flor. ce an 6° /de la Rep. e"
L'esquisse de cette composition est conservée au musée du château de Versailles (MV 4851).

Haut. 69, Larg. 99 cm.
(restaurations anciennes).

Provenance : famille d'Alexandre Marie Gosselin de Sainct-Même (Paris, 1746 - Marseille, 1820), administrateur des Subsistances Militaires de l'armée d'Italie ; par descendance jusqu'en 2020.

Orange picking. Canvas signed by Louis Gauffier, located in Florence and dated year 6 of the Republic, 1797-1798, and whose sketch is kept at the Palace of Versailles.

Réunion de la famille Sainct-Même sous le Directoire
par Aymeric Rouillac


Découverte inédite, cette toile était conservée jusqu’au printemps 2020 dans la descendance varoise du capitaine de vaisseau Philippe de Centenier de Fauque (1895-1963), qui disait lui-même l’avoir toujours vue chez ses parents. Elle n’était connue que par son modelo conservé au château de Versailles et sobrement titré « Réunion de famille d’un diplomate accrédité en Italie sous le Directoire. » Parmi les ancêtres de ce collectionneur figurent notamment un général d’Empire, le baron Jean-Jacques d’Azémar et un capitaine dans le Piémont, Joseph Fauque de Centenier ; mais ce ne sont pas eux qui sont représentés, faute de descendance en 1797.

Le commanditaire de cette toile est en réalité Alexandre Marie Gosselin de Sainct-Même (Paris, 1746 - Marseille, 1820). Âgé de cinquante-et-un ans en 1797, il a vingt-quatre ans de plus que sa femme Anne Henriette Élise Assailly (1770-1859), qu’il a épousé en 1784, âgée de vingt-sept ans sur cette toile. Son portrait présumé attribué à Rémi-Furcy Descarcin (1747-1793) le figurant un peu plus jeune probablement avant son mariage, a été présenté il y a peu de temps aux enchères avec le concours du cabinet Turquin (vente à Vannes, Me Ruellan, 19 mai 2018, n°46).

Le couple est ici entouré de cinq de ses enfants. Le garçon à droite est Alexandre Henry, né à Marseille en 1786, qui a alors onze ans. La jeune fille en robe bleue à l’arrière est Anne Joséphine « Laurette », dont descendait Philippe de Fauque, née à Marseille en 1788 et âgée de neuf ans en 1797. Les deux filles en robes blanches sont Antoinette Françoise « Mélanie » (née à Marseille en 1790, âgée de sept ans) et Adèle Honorine (née à Marseille en 1793, représentée à l’âge de quatre ans). Le bébé est Charlotte (Caroline) Alexandrine « Élise » (née à Paris en 1795 et âgée de deux ans sur le tableau). La dignité consulaire de son père est évoquée par la toge pourpre sur laquelle elle est assise. Ne manque que leur dernier fils Eugène Maurice, qui naîtra à Paris en 1800.

Le portrait fidèle de cette famille nous est dressé par la duchesse d’Abrantès dans ses mémoires : « Ma mère avait retrouvé à Paris une famille de Marseille à laquelle elle était sincèrement attachée. M. et madame de Saint-Mesmes étaient bien les meilleurs, les plus excellens amis. M. de Saint-Mesmes était à la tête d'une partie des fournitures de l'armée d'Italie. Il était assez âgé pour être le père de sa femme, jeune et charmante personne, qui l'aimait avec autant de tendresse et même d'amour que s'il eût été le plus beau garçon de Paris. Sa vertu, sa pureté, la rendaient vraiment intéressante. Je me sens heureuse, en rappelant seulement son souvenir. J'éprouve une sorte de calme qui rafraîchit mon sang, lorsque je me rappelle cette jeune mère entourée de six ou sept enfans qu'elle avait nourris, et s’occupant, au milieu d'eux, des soins de sa maison, comme une jeune Grecque aurait pu le faire jadis au sein de son gynécée. » (in Laure Junot duchesse d'Abrantès (1784-1838), Mémoires de Madame la duchesse d'Abrantès, ou Souvenirs historiques sur Napoléon : la Révolution, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration. Tome 2. 1831-1835, p.97-99)

La jeune femme recueillant les oranges à gauche, aux allures de vestale, est une amie intime de la mère de famille, dont parle aussi la duchesse d’Abrantès comme d’une jeune femme qui entrera ensuite sous les ordres comme religieuse bénédictine et qui, pour témoigner sa reconnaissance à Madame de Sainct-Même qui avait été sa Providence, vint « s’établir pendant des mois entiers chez elle où elle enseignait la parole de Dieu à ses enfants. »

Des études historiques récentes recensent une quarantaine de diplomates représentant la France en Italie sous le Directoire. La plupart du personnel en poste dans la péninsule, ou des voyageurs du Grand Tour qui ont publié à cette époque, sont soit de jeunes hommes nés dans les années 1770 et fraîchement mariés, ou soit des célibataires, si non endurcis, du moins géographiques. Rares sont les familles de diplomates présentes en Italie en cette période de guerre. Bien que son activité diplomatique ne soit pas strictement référencée sous le Directoire, Alexandre de Sainct-Même aurait été Consul général de France pour le royaume des Deux-Siciles. Le 16 avril 1793, on trouve sa signature aux côtés de celle de Miot sur un document officiel comme administrateur des Subsistances Militaires. C’est à ce titre qu’il est alors accrédité en Italie, comme le rappelle la duchesse d’Abrantes.

Le fait qu’Alexandre de Sainct-Même soit séparé de sa femme et de ses enfants par une balustrade illustre peut-être la séparation physique de la famille, restée en France, alors que lui parcourt l’Italie ? Louis Gauffier est coutumier de la réunion sur une toile de différentes générations séparées physiquement, comme en témoigne son autoportrait avec son père dans le Retour du fils prodigue qu’il lui envoie peu de temps avant de mourir (Musée de Rochefort). Il en va de même avec son autoportrait dans La famille de l’artiste posant avec son épouse, également peintre, et leurs deux enfants au pied d’un chapiteau (ancienne collection Artus, Paris).

En 1803, Sainct-Même est l’un des trois témoins du prince Camille Borghese pour son mariage, et se présente comme Commissaire général pour les relations commerciales de Naples à Marseille. Sous le règne de Joachim Napoléon (1806-1808), il sera nommé directeur général de la régie des subsistances militaires du royaume de Naples et des Deux-Siciles. De façon anecdotique, l’un des témoins de mariage de Pauline, la sœur chérie de Napoléon Bonaparte n’est autre que, une nouvelle fois, le conseiller d'État Miot, celui-là même dont Gauffier a représenté la famille alors qu’il était consul à Florence en 1796 (Melbourne, National Gallery of Victoria). Le contraste entre ces deux toiles est d’ailleurs saisissant : alors que sur la nôtre règnent la félicité, la beauté et la bonté, le portrait de la famille d’André-François Miot, futur comte de Melito, montre des visages veules ou serviles, aux sourires grimaçants sous les auspices du buste de Joseph Bonaparte. Gauffier masque difficilement son aversion pour la Révolution française dans cet autre portrait et semble s’être heureusement pris ici de sympathie pour cette famille, par ailleurs en relation avec les Miot qui l’avait précédé dans l’atelier du peintre.

Installé à Florence, Gauffier voyage à travers l’Italie dans les années 1796-1798, notamment à Naples où il réalise les portraits d’officiers républicains. De la même façon qu’il commencera le portrait de Victor-Léopold Berthier, général de division devant la baie de Naples, et qu’il le finira et situera ensuite à Florence (ancienne collection Hollande, Paris), il est n’est pas impossible que le peintre ait commencé notre tableau dans une autre ville de la péninsule pour le terminer dans sa ville de résidence, où il le signe, le date et le situe.

Réalisé en l’an VI, après le traité de Campo Formio mettant fin à la première campagne d'Italie par Bonaparte, notre tableau figure la cueillette des oranges, entre l’automne 1797 et le printemps 1798. Si le choix d’une orangeraie pose un cadre aristocratique, symbole de luxe et de pouvoir qui flatte son riche commanditaire, c’est surtout une évocation d’un chef d’œuvre de la peinture italienne : La naissance du Printemps par Boticelli. Gauffier met à son tour harmonieusement en scène huit personnages dans une orangeraie, non pas en fleur mais au moment où le fruit est mur et qu’il faut le cueillir.
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