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Flûte ! Une écritoire d’Aprey plein d’attrait

Samedi 27 juin 2020 à 07h

Cette semaine, Fabien nous fait parvenir la photographie d’une faïence. Me Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



La céramique de notre lecteur a une forme mouvementée, qui imite celle d’une large feuille. A fond blanc au centre, son bord et les contours des éléments qu’elle révèle sont scandés par une rose tirant sur le pourpre. Deux orifices dont un avec son couvercle permettent de contenir l’encre. En partie basse une cavité est réservée pour déposer la plume. Huit motifs de branches et de fleurs sont disposés sur cette pièce, assurément posées à main levé. Le plumier pour sa part, dévoile un personnage jouant de la flûte dans un paysage. On retrouve ce flutiste sur d’autres pièces de la même manufacture. Il s’agit d’un donc d’un poncif, c’est à dire un modèle qui a permis au peintre faïencier de reproduire en grand nombre un même dessin plus complexe que de simples motifs végétaux stylisés.

A ne pas confondre avec un simple encrier, l’objet de Fabien est une écritoire. Il en existe différents modèles, auxquels s’ajoutent différents accessoires en plus du simple récipient à encre. Ici, il y a un deuxième récipient pour la poudre de séchage et un plumier. Objet ayant presque totalement disparu après l’invention du stylo bille ou de la cartouche d’encre, il était indispensable aux XVIIIe et XIXe siècle. Les modèles en céramique, reprennent comme c’est souvent le cas, la forme des plus beaux modèles d’orfèvrerie en argent.

À première vue, avec sa couleur rose pourpre caractéristique, l’œuvre de Fabien rappelle les productions de l’Est de la France. L’histoire de la céramique est celle de transfuges, c’est à dire de d’artisans passant de pays en pays, de manufacture en manufacture, emportant avec eux techniques, ornements et couleurs nouvelles. Les mélanges sont si nombreux qu’il est parfois difficile pour les non spécialistes de faire la différence entre une faïence des Islettes ou de Strasbourg par exemple. La manufacture des Hannong à Strasbourg est peut-être la plus prestigieuse dans l’Est, excellaient dans les représentations de chinois comme dans l’obtention des roses. Heureusement un indice permet de répondre catégoriquement à la question de l’origine de l’écritoire de Fabien. Il s’agit d’une marque, souvent une ou plusieurs lettres, située au revers de la pièce. Avec son « A » et son « P » entrelacés cette pièce a été produite à Aprey, en Haute Marne.

Fabrique active entre 1742 et 1894, Aprey se développe grâce l’aide du mécène le comte Jacques Lallemand et du travail du peintre Jean-François Frossard, venu des Flandres. La manufacture développe la technique du « petit feu », permettant d’obtenir des couleurs plus variées que les cinq couleurs du « grand feu ». Cuire plusieurs fois la même pièce à des températures différentes permet d’exposer chaque oxyde aux conditions qui subliment leur éclat. Notamment le rouge caractéristique de la cuisson à petit feu, impossible à obtenir au grand feu Par ailleurs, François Ollivier, le directeur emblématique de la manufacture commande dans la seconde moitié du XVIIIe siècle des dessins à Paris. C’est à partir de ces modèles, dans l’air du temps, que les petites mains de la manufacture réalisent les fameux poncifs. Le joueur de flûte du plumier de Fabien, que l’on retrouve notamment sur un autre ravier de la manufacture, participe de ce mode opératoire. Si les pièces les plus prestigieuses sont tournées et décorées par les meilleurs peintres, d’autres objets plus courants sont ornés à la chaine.

Probablement réalisée dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans le goût du règne de Louis XV, l’écritoire de Fabien est légèrement accidentée. On note deux égrenures : la première sur le pourtour d’un encrier la seconde sur le bord inférieur gauche. Plus grave des « cheveux » c’est à dire des fêles de cuisson parsèment l’encrier atténuant la blancheur recherchée. Dans cet état on estime cette pièce entre 30 et 50 euros. Voilà l’occasion de l’utiliser à des fins calligraphiques, pour replonger sa plume dans l’histoire de nos aïeux.
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