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La Soupière au putto du ministre Defermon

Dimanche 10 juin 2018

Rare évocation des services impériaux par Cahier, le successeur de Biennais


Numéro 75 de la vente

SOUPIÈRE au PUTTO en argent par Jean-Charles CAHIER.

de forme ovale. Le couvercle bombé, dont le revers est signé "Charles Cahier, à Paris", est sommé d'un fretel représentant un putto nourrissant un agneau couché sur un tertre herbeux.
La partie supérieure du corps est appliquée, entre deux rais de perles, d'une succession d'attributs inscrits dans des couronnes rubanées de lauriers, de chêne ou de fleurs : tête de taureau (travail et patience), palme et couronne de lauriers (victoire), caducée (paix), carquois et flambeau (amour), poignée de main (amitié) et acacia (longévité). Le rebord reçoit une frise de feuilles lancéolées.
Elle est flanquée d'anses latérales adoptant la forme de deux serpents naissant du casque d'une figure de Minerve traitée en haut-relief et soulignée d'une large palmette.
Le piédouche est orné successivement d'un rais-de-cœur, d'une frise de masques flanqués de palmettes et d'une frise de palmettes et agrafes. Il repose sur un important présentoir appliqué, entre deux rais-de-cœur, de motifs fleuronnés flanqués de palmettes.
Piètement quadripode adoptant la forme d'une patte de lion ailée.
Elle possède sa doublure en argent munie de deux prises en coquille.

Poinçon 2nd Coq et moyenne garantie de Paris, 1809-1819.
Le présentoir et la doublure présentent en outre le poinçon de l'Association des Orfèvres. Créé en 1793 par un groupement d'orfèvres, ce poinçon vise à garantir la qualité de la pièce à une époque où le désordre donne l'occasion à certains indélicats de tricher, notamment sur le taux d'argent. Appliqué encore 50 années après à Paris, ce poinçon n'offre aucune garantie de datation.

Haut. 45, Long. 45,5, Larg. 34 cm. Poids : 7,770 g.

Provenance : Joseph Defermon (1752-1831), comte d'Empire, ministre d’Etat, par descendance.

Soupières comparables présentées en ventes publiques :
- vente à Paris, Ader Picard Tajan, 25 février 1974, n°64. En argent, la prise est ornée d'un putto présentant une grappe de raisin à une chèvre. Poinçonnée du second coq et gravée des armes de Defermon, cette soupière provenait également de la descendance de Joseph Defermon.
- vente à Paris, Sotheby's, 10 avril 2008, n°64. En vermeil, la prise est ornée de deux putti se disputant une balle. Poinçonnée du second coq, la soupière est gravée des armes de José Manuel de Goyeneche y Barreda (1776-1846), chevalier de l'ordre de Saint-Jacques et comte de Guaqui.
- vente de Balkany - Villa Aigue-Marine, Genève, 6 mai 2017, n°435. En argent, une soupière plus simple et plus tardive (poinçon Vieiilard) par Cahier présente des anses similaires.

La soupière au putto de Cahier
un rarissime témoignage des grands Services impériaux

Signée de Jean-Charles Cahier (Soissons, 1772 - Marseille, 1857), orfèvre dont le poinçon est insculpé en 1801 et qui s’installe en 1803 quai des Orfèvres à Paris sous l’enseigne « À l’ancre », notre soupière appartient à un service plus important dérivant du service du Grand vermeil présenté par la ville de Paris à l’Empereur Napoléon Ier le 16 décembre 1804. Bien que l’Empereur accorde rarement plus de 10 minutes à son repas, il dépense jusqu’à 1.000.000 de francs en 1812 pour les frais de sa table, comprenant, avec Joséphine et à la suite de Louis XIV, le rôle essentiel de l’étiquette. La toile de Casanova illustrant le banquet de mariage de Napoléon et Marie-Louise en 1810 en montre la splendeur (figure 1). Monsieur de Ségur, grand maître des cérémonies codifie ainsi le grand couvert, le petit couvert et le service dans les appartements intérieurs, renouant avec la nécessité d’une vaisselle d’apparat.

C’est Henry Auguste (1759-1816), fils de Robert-Joseph Auguste (1723-1805) dont le nom reste attaché au spectaculaire service Orloff commandé par Catherine de Russie, qui se voit confier cette commande prestigieuse par le préfet de la Seine, Frochot, le 24 septembre 1804. 150 employés travaillèrent deux mois et demi durant sous la surveillance de l’architecte Molinos (1743-1831) et de l’artiste Pierre-Paul Prud'hon (1758-1823) pour livrer ces 1.069 pièces d’argent doré pesant plus de 600 kg. Seules 24 pièces de ce service sont aujourd’hui connues ; les autres ont été fondues sous Charles X puis par Napoléon III en 1858, à l’occasion d’une commande à Christofle. Certaines des pièces de forme les plus spectaculaires du Grand vermeil avaient toutefois été créées au siècle précédent, et ont simplement été modifiées pour l’occasion. Les troubles révolutionnaires et la Terreur avaient en effet tari les commandes d’Auguste. L’orfèvre était resté à la tête d’un stock important de vaisselle dessinée par Jean-Guillaume Moitte (1746-1810) au début de la Révolution. Ainsi le pot à oïlle du Grand Vermeil aujourd’hui conservé au château de Fontainebleau aurait été créé en 1789 (figure 2) ; seule une statuette a été ajoutée sur le couvercle en 1804. Or c’est précisément sur ce Pot à oïl que l’on retrouve des anses à tête de Méduse, femme coiffée par deux serpents, inspirant la Minerve casquée sur notre soupière. Ces anses se répètent par ailleurs sur d’autres pièces du Grand vermeil, telles une verrière et un seau à rafraîchir également conservés à Fontainebleau.

Si l’esprit de notre soupière se nourrit du Grand vermeil, il ne faut pas négliger non plus l’influence des autres orfèvres de l’époque, tel Odiot, dont le principe de pieds en griffe ailés se retrouve sur un projet de nef pour le roi Jérôme de Westphalie (figure 3). Une structure de soupière sur une base ovale très proche de la nôtre est imaginée par les ornemanistes Charles Percier (1764-1838) et Pierre-Françoise-Léonard Fontaine (1762-1853) pour le service Borghese livrée à partir de 1805 par Martin-Guillaume Biennais (1764-1843) à Pauline Bonaparte princesse Borghese, aujourd’hui conservée au Metropolitain Museum à New York (figure 4). Biennais, qui depuis qu’il a fait crédit d’une précieuse argenterie au Général Bonaparte de retour d’Égypte, se voit gratifié de commandes prestigieuses. Avec la faillite d’Auguste en 1806, Odiot et Biennais livrent des services à travers toute l’Europe napoléonienne. Pour Odiot un service en vermeil à Madame Mère (1806). Pour Biennais, à Pauline Bonaparte le service Borghese (1809-1819), à la cour de Jérome en Westphalie (1807-1813), à celle de Murat à Naples (1809-1819), à Élise Bonaparte en Toscane, à Bernadotte en Suède (1809-1814), mais surtout à Eugène de Beauharnais à Milan (1805-1809), dont le service est conservé aujourd’hui en Autriche. Pour fournir une telle demande l’orfèvre sous-traite fréquemment tout ou partie de ces commandes. On trouve ainsi les poinçons de Marie-Joseph-Gabriel Genu (maître en 1788) ou de Jean-Charles Cahier sur des pièces livrées par Biennais pour Joséphine dès 1801. ll est donc fort probable que Cahier ait été sous-traitant de cette soupière pour un orfèvre comme Biennais.

Après la retraite de Biennais, Cahier loue d’ailleurs en 1821 sa boutique et son atelier du 283, rue Saint-Honoré, puis achète en 1822 son fonds de commerce, ses matrices de poinçons et marchandises déjà fabriquées. Il élargit alors son répertoire aux spécialités de son prédécesseur : armes, ordres ou vaisselle d’apparat. Cahier achève ainsi et livre en 1824 le service commandé par le Tsar à Biennais pour le grand-duc Michel Pavlovitch. Il réunit neuf ateliers différents, engageant jusqu’à une vingtaine d’orfèvres. Toutefois, le nom de Cahier, qui travaille avec le peintre Louis Lafitte (1770-1828), reste essentiellement associé à l’orfèvrerie religieuse. Il reçoit des commandes pour les chapelles du Grand Trianon (1804), des Tuileries (1805-1806) ou pour la cathédrale Notre-Dame de Paris (1806). Sous la Restauration, Cahier fait insculper un nouveau poinçon aux L entrelacés en guise de fidélité aux Bourbons, qui le nomment orfèvre du Roi en 1816. Il crée de nombreuses pièces pour le palais des Tuileries mais aussi la châsse de la Sainte Ampoule en 1822. En 1825, il est le principal orfèvre du sacre de Charles X à Reims, fournissant vases sacrés, argenterie du banquet, couronnes et collier du Saint-Esprit, ce qui ne lui évite pas la faillite en novembre 1828.

Provenant de la descendance de Joseph Defermon des Chapelières (1752-1831), comte d’Empire, Ministre d’État, directeur des Finances, cette soupière a pu soit être directement commandée par Defermon, soit offerte à lui en provenance d’un autre service. Présenté par la Fondation Napoléon comme « d'un dévouement absolu et d'une obéissance sans limite », Defermon était surnommé « Fermons-la-caisse », car « il fut à divers titres un redoutable et inexorable régisseur des finances publiques ». Intendant général de la caisse du domaine extraordinaire de l'Empereur, il cumulait trois cent mille francs de traitements annuels, « dont il est difficile de calculer l'équivalent en francs actuels, sans être proprement éberlué ! » Une autre soupière portant ses armoiries et également sommée d’un putto (figure 5) ainsi qu’une assiette armoriée par Cahier sont en effet connues du marché de l’art. Cependant, l’identification d’une troisième soupière en vermeil d’un modèle similaire mais avec deux putti et aux armes d’un Grand d’Espagne (figure 6) laisse penser que ce service n’était pas originellement destiné à Defermon. Comme pour l’épée en or par Biennais livrée au duc de San Carlos et vendue à Artigny en 2015, la chute de l’Empire a permis à des dignitaires non membres de la famille impériale d’acquérir des pièces réservées, les préservant de la fonte. L’inscription sous le couvercle « Charles Cahier à Paris » indique que cette soupière a été livrée avant la Restauration, qui voit Cahier nommé « Orfèvre du Roi ». La retrouver dans la descendance du Ministre, alors que les autres pièces de cette qualité ont pour la plupart été fondues ou sont dans des collections publiques, est un donc un précieux témoignage des grands services disparus d’orfèvrerie impériale.

Bibliographie générale

• Pierre Branda, « Le grand maréchal du palais : protéger et servir », in Napoleonica. La Revue, éd. La Fondation Napoléon, 2008
• Anne Dion-Tenenbaum, « La collection du musée du Louvre, orfèvrerie du XIXe siècle »., Somogy, Paris, 2011.
• Christopher Hartop, « Empire Silver: A Gilded Age », in Joséphine and the Arts of the Empire, par Eleanor P. DeLorme, The Jean Paul Getty Museum, Los Angeles, 2008
• Karine Huguenaud, « La Nef du Grand vermeil », Fondation Napoléon, novembre 2002

Figures

Figure 1 - Casanova, Festin du mariage de Napoléon Ier et de Marie-Louise, 2 avril 1810 - chârteau de Versailles

Figure 2 - Auguste, Pot à Oïl du Grand vermeil de l'Empereur - château de Fontainebleau

Figure 3 - Moitte () pour Odiot, Projet de Nef pour le roi Jérôme de Westphalie, vente Artemisia, 2013

Figure 4 -Biennais, Soupière Borghese - Metropolitan Museum

Figure 5 - Cahier, Soupière du comte Defermon, vente Ader Picard Tajan, 1974

Figure 6 - Cahier, Soupière en vermeil du comte Guaqui - vente Sotheby's 2008
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