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Le coffre de Mazarin transformé en « bar à papa »

Mercredi 25 mars 2020

extrait de "Adjugé ! La saga des Rouillac"
par Aymeric Rouillac


Car lorsque Mazarin veut… Dieu veut ! Apprenant que la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) est décidée à vendre une ambitieuse commande d’objets en laque du Japon qu’elle conserve en stock depuis quinze ans, le prince des collectionneurs dépêche en janvier 1658 son ambassadeur à Amsterdam, escorté d’un navire de guerre. La transaction est de tout premier ordre. S’appuyant sur le nouveau gouvernement militaire des shoguns, la VOC était en effet parvenue à évincer ses concurrents portugais du marché japonais dans les années 1630, en contrepartie d’une stricte neutralité religieuse et d’une présence physique limitée sur une île artificielle. Fort de cette exclusivité, une commande somptuaire avait été passée aux ateliers impériaux de laque de Kyoto. Le but était de créer des meubles époustouflants, dans un style nouveau avec de riches aplats d’or sur un fond de laque noire racontant une histoire. Alors que la commande quitte le pays, le Japon réalise la perte immense qu’il subit et menace de décapitation les futures exportations de ces grands laques à motifs de villes et de soldats en armes. Trop tard, parmi les deux cent six objets en laque réunis dans l’inventaire de Mazarin à son décès en 1661, le numéro 829 correspond à « un grand coffre verny de la Chine à une serrure, ses coings et serrure dorez damasquinée, sur le dessus duquel sont représentez des figures de petits enfants Chinois » (cat. 35). Il représente le Dit du Genji : le premier roman de la littéraire mondiale, écrit par une femme au XIe siècle. Si son décor est d’une qualité inégalée, son histoire est des plus rocambolesques.

Lorsque mon père refuse aimablement un verre de porto après l’inventaire d’un pavillon du Val de Loire en janvier 2013, son cœur palpite au moment où la propriétaire, écartant la télévision et soulevant un grand drap, sort un vieux cherry du bar. Il découvre ce coffre tombé dans l’anonymat, après être passé incognito à travers les siècles pour arriver chez les enfants d’un ingénieur pétrolier. Ce dernier l’avait acquis quelques décennies plus tôt, à Londres, pour accueillir ses alcools forts. Mazarin conservait dans ces meubles les précieux diamants qui ornent encore la couronne de France ! Marie-Anne Mancini, une des nièces du cardinal, en avait hérité et l’avait transmis à sa progéniture, jusqu’à ce que, ruiné par la Révolution, son lointain héritier, le septième duc de Bouillon, ne soit contraint de s’en séparer aux enchères en 1801. Il est alors acquis pour l’Anglais William Beckford et arrive Outre-Manche, comme nombre des plus belles collections françaises, saignées par le changement de régime. Il quitte les collections familiales avec la vente des collections du palais d’Hamilton en 1882, et disparaît dans l’anonymat de la campagne anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale, malgré une vente à Londres en 1916 chez Christie’s. Réapparaissant dans le Val de Loire un siècle plus tard, il est maintenant retourné à Amsterdam, où il fait l’orgueil du Rijkmuseum, fier de renouer avec son Siècle d’or. Le « bar à papa » est entre-temps devenu le meuble en laque le plus précieux… et le plus cher au monde !

Extrait de "Adjugé ! La saga des Rouillac"
220 pages, 450 photos, 39 € aux éditions Monelle Hayot.

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