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Les Rouillac se font la malle

Vendredi 03 mai 2013

La Renaissance du Loire et Cher, Frédéric Sabourin

Vente aux enchères Rouillac à Cheverny : mon truc en plume chez les Rouillac

La vente annuelle des commissaires priseurs Rouillac père et fils au Château de Cheverny approche (9 juin). Deux objets rares vous sont présentés en exclusivité pour la Renaissance.

C’est une enquête menée un peu à la manière de Tintin. Il faut progresser pas à pas, faire fonctionner son cerveau, prendre des précautions, et s’entourer de précieux collaborateurs. Au cabinet d’Aymeric Rouillac, boulevard Béranger à Tours, le temps semble suspendu, et pas seulement parce que nous y avons rendez-vous le vendredi saint à 15 heures. Dans une pièce de cet hôtel particulier et sous la haute protection de Louis XIV accroché au mur (entre autres), trois étudiants s’activent et donnent le résultat de leurs recherches. « A votre avis, est-ce un tableau à destination de l’Europe, ou du Mexique ? » interroge maître Rouillac fils. Fin pédagogue, et excellent conteur, il semble à la manière de poser la question déjà posséder l’intuition de la réponse. Anne, Claire et Adrien, tous étudiants en Master 1 de la faculté d’Histoire de l’Art de Tours, sèchent un peu. Ils ont pourtant bossé, mais ce tableau mexicain de plumes sur cuivre représentant une Sainte Famille et une Sainte Trinité datant du XVIe ou XVIIe siècle leur donne du fil à retorde. Et c’est bien normal : nous sommes peu rompu à cette forme d’art en Europe. Tellement surprenante que lorsque le Pape Sixte V, en 1585, reçu en cadeau un tableau de plumes représentant saint François, il aurait voulu passer ses doigts sur le tableau pour voir si c’était bien des plumes et pas de la peinture… « Pourquoi les plumes ? Pourquoi le Mexique ? » interroge encore Aymeric Rouillac. Les étudiants en Histoire de l’Art ont pour secours un livre en espagnol, El arte plumaria en Mexico de Teresa Castello Yturbide. Mais il faut aussi faire fonctionner son sens critique, partager ses connaissances, recouper ses sources, et les confronter avec le « maître ».

C’est ainsi qu’Aymeric et Philippe Rouillac (son père) travaillent à la préparation de la grande vente annuelle de Cheverny. En y associant des étudiants, qui sentent bien le privilège de participer à ces enquêtes. Car trouver un objet à vendre – en l’occurrence ce rare tableau de plumes déniché dans un hôtel particulier tourangeau – n’est finalement rien en comparaison avec l’impérieuse nécessité de le faire parler. Il faut connaître son histoire, d’où il vient, à qui a-t-il appartenu. Cela s’ajoute à sa rareté (on connaît quatre tableaux de Sainte Famille à Puebla, au Mexique, dont un dans la cathédrale), et en fera sa valeur fiduciaire en vue de la vente du 9 juin. « La conquête a écrasé les idoles, précise Aymeric, mais pour faire passer le message catholique, on a utilisé cette forme d’art plumaire, en utilisant des oiseaux au plumage très diversifié. » Une forme d’art bien dans la mouvance de la Contre-Réforme catholique. « On trouve des exemplaires de ces tableaux de plumes jusqu’au Japon, » ajoute le commissaire-priseur.

Les trois étudiants qui planchent sur la datation, l’origine, et la destination de ce tableau, vont devoir faire vite : Aymeric attend d’eux que leur important travail soit synthétisé sur deux pages, quinze jours plus tard. « C’est un des tableaux qui semble le plus proche des Aztèques. Il y a une volonté de surprendre les Européens. Nous sommes bien en présence d’un tableau indigène, dans la mouvance de l’art plumaire de Méso-Amérique, » précise encore Aymeric. « C’est une construction très savante, mais il faut comparer. » Quatre tableaux existeraient en France comme celui-ci. Les étudiants devront aussi se pencher sur le positionnement des personnages, si une gravure n’aurait pas servie de modèle, pourquoi sont-ils pieds-nus, pourquoi y a-t-il des volcans en arrière plan, etc. Il y a du pain sur la planche avant de partir en vacances de printemps pour Anne, Claire et Adrien, car le 9 juin approche et les Rouillac ont encore bien des objets à estimer, et à scruter pour essayer de les faire parler, raconter leur histoire. Laquelle va continuer en étant acquise par un nouveau propriétaire, et qui sait, quitter le continent européen.

Frédéric SABOURIN
www.rouillac.com

Le clou de la 25e vente : un coffre en laque du Cardinal Mazarin

C’est incontestablement la plus belle pièce de cette trentième vente à Cheverny : un coffre en cèdre du Japon à décor de laque or sur fond noir, ayant appartenu au Cardinal Mazarin à partir de 1658.

Il faut l’entendre pour le croire : lorsque Philippe et Aymeric Rouillac évoquent pour nous, en exclusivité, l’histoire de ce magnifique coffre, ils ne nomment d’abord « le bar à papa, » en détachant bien chaque mot. C’est en effet ainsi que Philippe l’a déniché. Le coffre en laque ayant appartenu au Cardinal Mazarin et dont les propriétaires se comptent depuis pratiquement sur les doigts des mains, contenait des bouteilles et des gâteaux apéritifs ! On croit rêver, et pourtant…
Un décor de laque or sur fond noir, tout en cèdre du Japon, du Dit du Genji* et du Dit des Frères Soga, sur environ 9 m², représentant des scènes animalières, de palais et de jardins, de pêche à la ligne, de basse-cour, de cerfs volants, d’offrandes, de rencontres, de cueillettes…

Le couvercle est orné de scènes de palais montagneux, d’une scène de chasse montrant un Empereur accompagné d’une trentaine de personnages. La serrure est ciselé de deux tigres chassant et d’un dragon doré sur fond noir. Le tout daterait du début de l’ère Edo, au Japon, vers 1640. Il a probablement été acheté à Amsterdam, en 1658, par le Cardinal Jules Mazarin, par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France, et envoyé à son commanditaire sur un vaisseau de guerre. Il porte le n° 829 de l’inventaire après décès. L’une des nièces du Cardinal va en hériter – Hortense Mancini, Duchesse de Mazarin – puis pendant trois générations, jusqu’à ce qu’il change de famille par achat (ou héritage ? ou autrement ?) en 1781 par Jacques Léopold de la Tour d’Auvergne (7e Duc de Bouillon). En 1800, devant s’acquitter d’une énorme somme pour récupérer son duché mis sous séquestre lors de la Révolution, il se sépare de ses collections. Probablement vers 1812, il quitte la France pour l’Angleterre, acheté par William Thomas Beckford, pour sa propriété de Fonthill Abbey à Wiltshire. L’homme est critique d’art, écrivain et homme politique. Ruiné, il vendra le coffre à un intermédiaire et on le retrouve… chez son gendre, Alexander, Duc de Hamilton en 1823 (et en Ecosse). Ruiné à son tour, le petit-fils William Douglas-Hamilton se sépare des collections en 1882, et acheté par Sir James John Trevor Lawrence, politicien et collectionneur. Le coffre est l’objet le plus remarquable de sa collection. Il sera racheté en 1916 dans une vente organisée par Christie, Manson & Wood par Sir Clifford Cory. Plus que trois propriétaires jusqu’à aujourd’hui…

Sir Clifford Cory conserve ce coffre au Pays de Galle, dans sa propriété de Llantarnam Abbey. L’homme est industriel et homme d’affaire et politicien libéral. Il décède le 3 février 1941, et ses collections sont vendues aux enchères en pleine Bataille d’Angleterre. Aucune trace de cette vente ne nous est parvenue, mais il est probable que le docteur Zanlewski et sa femme achètent le coffre. D’origine polonaise, le docteur Zanlewski conserve le coffre dans un hôtel particulier londonien à Dorin Court, South Kensington. En 1971, un ingénieur français de la Shell Petroleum locataire londonien et ami du docteur Zanlewski lui achète ce coffre pour une somme symbolique. Suivant la vie professionnelle de son nouveau propriétaire, il revient en France lors de la retraite de l’ingénieur en 1986… dans le Val de Loire. « Ce meuble, qui est l’un des plus convoité au monde, selon Aymeric et Philippe Rouillac, n’a connu que treize propriétaires jusqu’à aujourd’hui. » Un fait assez rare. Le chiffre treize portera-t-il chance à son nouvel acquéreur, et aux commissaires-priseurs à la recherche d’un gros coup pour la 25e vente ? Comme disait Margaret : « There is no alternative… »

F.S
(*) au XIe siècle, le Dit du Genji narre la vie de cour à travers les aventures et les amours d’un prince d’une incroyable beauté.


Encadré : La Sainte Famille et la Sainte Trinité, tableau de plumes

Il s’agit d’un tableau de plumes sur cuivre, provenant du Mexique et datant du XVIe ou XVIIe siècle. Il est issu d’une collection des Flandres, et, par descendance, d’une collection particulière à Tours. C’est une image de la Sainte Famille et de la Trinité en marche, parfaite illustration de la Contre-Réforme issue du Concile de Trente. Sa technique particulière, une mosaïque de plumes, appartient à une série rarissime, environ une quarantaine d’œuvres conservées de part le monde actuellement. Elle fut produite par des artisans aztèques, les amantacas, commandées par des frères Franciscains pour servir un discours évangélisateur. L’usage des plumes et une iconographie subtilement nimbée de traditions précolombiennes confèrent aux yeux des indigènes également une valeur sacrée à cette œuvre. Ce tableau inédit est peut-être l’objet de plumes le plus métis connu de nos jours, illustrant la richesse et la complexité des relations entre l’Europe et l’Amérique.

Ces mosaïques de plumes ont été exposées dans les cabinets de curiosité en Europe, rapportées par les Conquistadors. Elles restent aujourd’hui conservées au Mexique dans des lieux de cultes. L’archevêché de Puebla conserve une Sainte Famille de composition similaire, datée du XVIe siècle. Un modèle commun peut être envisagé, bien que le travail de celle de Puebla soit plus précieux, plus Baroque, plus détaillé et que l’image soit inversée.
Enfin, le volcan représenté à l’arrière plan, à la droite de Marie, est semblable à ceux que l’on trouve dans les tableaux du Saint François et de la Sainte Rita de Casia, conservés à Mexico. Une façon pour les artistes indigènes d’évoquer leurs divinités de manière discrète. Associés aux croyances du feu et de l’eau, fusionnés dans un panthéon commun, les volcans faisaient l’objet de cultes dans l’Amérique Précolombienne.

F.S (avec notice Rouillac)
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