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Les aventuriers du coffre perdu

Dimanche 14 juillet 2013

La magazine de la Touraine, Florian Mons


Philippe et Aymeric Rouillac ont fait, au début de l'année 2013, une découverte majeure : un inestimable coffre laqué japonais du XVIIe siècle ayant appartenu au cardinal Mazarin, dont la trace était perdue depuis... 1941 ! Les deux commissaires-priseurs nous racontent comment ils ont débusqué et estimé cet inestimable trésor.

C'était un rendez-vous classique , raconte Philippe Rouillac j'étais allé, à la demande de ses enfants, estimer le mobilier d'une demeure dont la propriétaire partait en maison de retraite Ses enfants avaient notamment évoque une pendule hollandaise dont ils soupçonnaient une certaine valeur » Mais, sur place, ce n'est pas la pendule qui attire l’œil expert du commissaire-priseur « l'ai aperçu le coin d'un meuble recouvert d'un tissu Ses couleurs chatoyaient Les propriétaires me confient alors qu'il s'agit d'un bar auquel leur père était très attache » Intrigué, Philippe Rouillac soulevé l'étoffe et tombe, si l'on peut dire, de l'armoire « Je suis reste figé. Pour avoir visite le musée du Royal Albert Hall de Londres et vu un meuble similaire, j'ai su immédiatement que ce coffre en laque était très rare et très précieux l'ai tout de suite conseille aux enfants de le mettre en sécurité »

Philippe Rouillac en informe aussitôt son fils Aymeric qui, à quelques kilomètres de là, d'un wagon de TGV, procède sans tarder à une première recherche sur Internet, au terme de laquelle il découvre que ce coffre a vêtements japonais en laque, un nagabitsu, a appartenu au cardinal Mazarin i Sa dernière mention connue remontait a 1941... « Le Royal Albert Hall, qui possède un coffre semblable mais plus petit, avait même lance un avis de recherche sur son site pour retrouver ce meuble », précise Aymeric Rouillac. « j'ai ensuite bossé jour et nuit pour rassembler les pièces du puzzle », ajoute-t-il Le jeune commissaire-priseur se lance dans une enquête des plus rigoureuses, rassemble les catalogues de ventes des biens de Mazarin, consulte les archives d'Oxford, celles de Monaco - les Grimaldi étant descendants de Mazarin -, examine les registres des ventes de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales et retrace, au passage, l’histoire de l'art inestimable et très secret de la laque japonaise En quelques semaines seulement, il parvient à reconstituer le parcours du coffre et la chaîne de ses propriétaires.

Princes, oiseaux et magnolias...

C'est au chef du bureau de commerce de la Compagnie néerlandaise des Indes, le Français François Caron, que l'on doit la commande, vers 1639, de ce coffre ainsi que de plusieurs autres pièces, que le négociant fait réaliser par les meilleurs ateliers de Kyoto. Sa consigne ? Ne ménager aucun luxe. Les laqueurs japonais sont les meilleurs au monde et, à ce savoir faire inestimable, ils ajoutent des incrustations d'argent et d'or et ornent leurs réalisations des motifs les plus subtils Ces motifs illustrent avec force détails picturaux (« on peut compter les doigts de pied des personnages », précise Philippe Rouillac) un récit du XIe siècle, Le Dit du Genji, qui raconte la vie de la cour du prince Cenji et les amours du souverain, ainsi qu'un autre récit, Le Dit des frères Soga, chronique guerrière d'une vengeance Chacun des panneaux du meuble raconte une scène ou présente un paysage ; ici des jeunes filles ramassent des fleurs coupées après une tempête tandis que d'autres personnages pèchent à la ligne. Là, ce sont des animaux de basse-cour qui évoluent dans un temple surplombe par une imposante cascade. Ailleurs, des oiseaux virevoltent autour de branches de magnolias, et chacun de ces tableaux est entoure d'une frise et de symboles héraldiques. Au total, environ 9 m2 de laque, de poudre ou de feuille d'or, qui font de ce chef-d'oeuvre le meuble présentant la plus grande surface laquée au monde.

De Londres au Val de Loire

« La plupart des meubles laques de cette époque ont été démontés pour être transformés ou assemblés à d'autres meubles », explique Aymeric Rouillac Ce meuble-la a eu de la chance ; de modifications, il n'a subi que l'ajout d'un rehaussement d'un mètre par Mazarin, peu familier des génuflexions japonaises C'est en 1658 que le cardinal envoie a Amsterdam un marchand expert pour acheter le nagabitsu ainsi que d'autres pieces qui feront partie d'une collection de laques qu'un inventaire de Colbert évaluera à deux cent six objets. Numérote 829, le coffre est décrit ainsi : « Un coffre verny de la Chine (sic) o une serrure, ses coings et serrure dorez et damasquinée, sur le dessus duquel sont représentez des figures de petis enfans Chinois aux costez des arbres, et sur devant des petites figures, hault de deux piedz deux poulces (. ) Prisé la somme de six cens livres »

Au fil des siècles, le coffre a connu une douzaine de propriétaires, pour la plupart collectionneurs de laques. Jusqu'au milieu du XXe siècle, on peut suivre assez facilement sa trace, maîs en 1941, à la mort de sir Clifford John Cory, un Gallois propriétaire du coffre, rien ne reste des documents de la vente aux enchères de sa collection. Le meuble s'évapore C'est en interrogeant les enfants du dernier propriétaire que les Rouillac remontent la chaîne et découvrent que c'est un Polonais, le docteur Zaniewski, qui a acquis le coffre. Son épouse et lui vivent alors à Londres dans le district de South Kensington et restent discrets sur leur précieuse acquisition.

Un coffre fabriqué avec la consigne de ne ménager aucun Luxe.

Ils hébergent un ami français, ingénieur à la Shell Petroleum, à qui ils cèdent le coffre en 1970. Celui-là, joignant l'utile à l'historique, en fera un bar pour ses enfants. Le vénérable meuble deviendra « le bar a papa », qui portera les traces de Porto et de diverses liqueurs, principales préoccupations du restaurateur à qui les Rouillac ont confié l'objet L'ingénieur décidera de s'installer en Val de Loire au moment de sa retraite, en 1986 »

Adjugé 5,9 millions d'euros !

« Les plus grands conservateurs nous appellent », jubilait Aymeric Rouillac quand nous l'avons rencontre. Mis à prix 200 000 € lors de la vente annuelle des Rouillac au château de Cheverny, le 9 juin dernier, le coffre a été adjugé à 5,9 millions d'euros au Rijksmuseum d'Amsterdam Un record
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