7,311 millions d'euros ! Adjugé !
Mercredi 19 juin 2013
Le Nouveau Détective
Pendant 40 ans, ils ont caché ce vilain coffre sous un drap...
Pendant 40 ans, ils ont caché ce vilain coffre sous un drap... Dans la famille, on rappelle le « bar à papa». C'est un meuble lourd, démodé, qu'on a bien mille fois hésité à mettre à la benne!
La vieille armoire qui prend la poussière au grenier, la table en fer forgé qui rouille au fond du jardin, le fauteuil un peu défoncé de la chambre d'ami ou le buffet de l'entrée impossible à soulever... On a tous chez soi des meubles qui, justement, font depuis si longtemps partie des meubles qu'on ne sait plus d'où ils proviennent, ni depuis combien de temps on les possède -ni surtout comment s'en débarrasser.Et c'est bien le problème des époux M., en ce printemps maussade. Pour ces septuagénaires, l'heure est venue de vendre leur modeste pavillon du Val de Loire et de partir s'installer dans une maison de retraite. Mais il leur faut auparavant vider la maison. Pourquoi, dès lors, ne pas profiter de l'occasion pour tenter de tirer quelques sous de toutes leurs vieilleries ?
Un petit tour «d'inspection»
Les M. décident de faire appel à un commissaire-priseur qu'ils ont vu dans une émission de télévision. Philippe Rouillac, un professionnel à la réputation établie. L'homme accepte de se déplacer, rendez-vous est pris pour le jeudi 18 avril.Le jour dit, costume de rigueur et sourire affable. Philippe Rouillac arrive donc chez les retraités et commence son petit tour «d'inspection». Il examine un à un les meubles que lui présentent les M., notamment une vieille pendule hollandaise dans la famille depuis des générations. Mais il est vite un peu gêné.Les M. sont sympathiques et ils n'ont pas l'air de rouler sur l'or.. Malheureusement, l'expert sait déjà qu'il ne tirera pas grand chose de ce qu'il voit chez eux. C'est ancien, certes, mais sans valeur.
Alors comme ça, vous dites que le «bar à papa» est exceptionnel ?
Devant son air un peu contrit, les M. haussent les épaules et lui proposent gentiment un apéritif. Tant pis si cette vieille pendule ne leur rapporte pas grand-chose ! Monsieur M. sort les verres pour faire goûter un vin délicieux qu'il prépare lui même. La bouteille de spiritueux se trouve dans le mini-bar, un coffre dissimulé sous une pièce de tissu, et qui sert également de meuble de télévision.Vaguement intrigué. Philippe Rouillac demande d'où il vient. —Ça, lui répond-on, c'est le «bar à papa». Avant, les enfants l'utilisaient comme coffre à jouets, mais depuis qu'ils sont partis, on en a fait un mini-bar. Regardez, on a même installe un petit compartiment pour les cacahuètes!
Acheté pour une bouchée de pain
Le commissaire-priseur enfile ses lunettes et s'approche. Le coffre est assez imposant : près d'un mètre cinquante de long sur soixante centimètres de large.Surtout, malgré les taches de liqueur qui souillent la laque, il paraît très ouvragé. —D'où le tenez-vous? — Mon père l'a acheté à Londres dans les années soixante-dix, pour une bouchée de pain.
Philippe Rouillac se penche plus près, caresse lentement le flanc du meuble. — Il est d'une très belle qualité, la laque est fine, ses dimensions inhabituelles. Il faut bien sûr faire une expertise, mais je crois pouvoir vous dire, à vue de nez, que ça m'a tout l'air d'être une pièce assez exceptionnelle...
Tandis que le spécialiste photographie le meuble sous tous les angles, les époux M. se regardent, interloqués. —Alors comme ça, vous dites que le « bar à papa » est exceptionnel ?
Le 9 juin dernier, le château de Cheverny accueillait, comme chaque année, l'un des plus prestigieux rendez vous du marche de l'art en France Line exposition, et surtout une vente aux enchères ou se pressent collectionneurs prives et représentants des plus grands musées du monde a la recherche de la perle rare
Un chef-d'oeuvre de l'art asiatique
Et ce jour-la, la maison de ventes Rouillac présente un meuble extraordinaire Un coffre du XVIIe siècle en laqué or, argent et nacre sur fond noir, avec une serrure en métal richement ciselée de fleurs de magnolias, gardées par deuxtigres et un dragon dore Ce décor raffine, admirable, couvre au total une surface de 9 mètres carres. Le meuble a été façonne dans les ateliers de l'empereur du Japon vers l'an 1640, pour le compte du cardinal Mazarin, le grand ministre de la cour de France, le mentor du jeune Louis XIV
Cette pièce unique, chef d'oeuvre de l'art asiatique, mise a prix pour 200 000 euros -ce qui n'est déjà pas mal-, mais au terme d'une âpre lutte, c'est le Rijksmuseum d'Amsterdam qui remporte l'enchère en déboursant la somme fabuleuse de 7,311 millions d'euros
Depuis, Philippe Rouillac, ne s'en ait toujours pas remis — Cela nous arrive régulièrement de faire des découvertes chez les gens, mais jamais a ce point C est le plus beau, le plus grand et le plus prestigieux meuble en laque conserve aujourd'hui sur la planète
Chez les M , ou l'on a vécu des décennies avec cette fortune sous le nez, on a dû déboucher une bonne bouteille de vin vieux pour fêter ça Avant de la ranger dans le nouveau minibar, acheté chez lkea.
Un joyau créé voici près de 400 ans
En 1639, François Caron, le représentant de la puissante Compagnie des Indes orientales, décide de passer une commande qui éblouira l'Europe et encouragera les échanges. Il fait réaliser par les meilleurs ateliers japonais une série de meubles et d'accessoires luxueux, dont les joyaux sont quatre grands coffres garnis de laque noire sur fond or Pendant 4 ans, les artisans dessinent et polissent les panneaux brillants comme des miroirs, avant de les monter sur une armature de cèdre Arrives en Europe les coffres passent 15 ans dans les greniers de la Compagnie, faute d acheteurs ll faut attendre 1658 pour qu un client assez riche se présente.C est le cardinal Mazarin Premier ministre du royaume de France, collectionneur forcené La fortune de Mazarin égale alors la moitié du budget du royaume. Il acheté deux des coffres, dans lesquels il entasse dessins et joyaux Apres sa mort, les précieux objets passent par héritages successifs, au duc Jacques de Bouillon Ce dernier meurt en 1802, sans postérité Le coffre est alors vendu a William Beckford légendaire collectionneur anglais L'objet est alors si célèbre que son propriétaire suivant, Sir Trevor Lawrence, lui consacre un livre.
Hélas, le coffre est ensuite vendu a un industriel nomme Cory qui meurt en 1941 Dans la confusion de la guerre le coffre est acheté aux enchères par le Dr Zaniewski, un discret collectionneur, qui n est sans doute pas pleinement informe de sa valeur vers 1970, il le vend pour 500 euros environ a son locataire, un ingénieur français qui le rapporte en Touraine en 1986