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Orient-Express : du rêve aux enchères

Vendredi 28 mai 2010

Sud Ouest, Thomas Brosset

AYTRÉ (17) Un wagon-restaurant sorti en 1928 du site actuel d’Alstom Transport sera mis en vente aux enchères publiques
le 5 juin dans le Loir-et-Cher. Il a vécu l’âge d’or de l’Orient-Express

THOMAS BROSSET
t.brosset@sudouest.fr

La voiture 3344 est sortie des ateliers de l’Entreprise indus- trielle charentaise d’Aytré un beau matin du printemps 1928. Elle a aussitôt pris la direction de la Compagnie internationale des wagons-lits, en Belgique, où elle s’est vu confier un ordre de mis- sion : assurer la restauration de l’Orient-Express Londres-Paris-Is- tanbul, la Rolls du rail, le George- V du voyage.

Elle le fit avec classe et dévoue- ment, dans le luxe et le bon goût, pendant plus de quarante ans. Sur ses sièges en bois d’acajou s’assi- rent, pour dîner, quelques person- nalités de haut rang : Joséphine Baker, Mata Hari, le chah d’Iran, Marlene Dietrich, Agatha Christie, Sean Connery (pour le tournage de « Bons baisers de Russie »), Jean Gabin, etc.

Menu type de l’époque : char- lotte de homard, consommé de queue de bœuf, caneton nantais, chartreuse de pigeon, Paris-Brest ou Saint-Honoré, sans parler de l’incontournable crème glacée aux parfums exotiques qui ravissait d’aise les belles Anglaises. Ah ! l’ice cream de l’Orient-Express !

Il inspira Agatha Christie

Pourtant, ce train des bonheurs simples mais chers connut quel- ques tragédies qui contribuèrent à accentuer le souffle d’aventure qui accompagnait chacun de ses départs enfumés de Victoria Sta- tion ou de Paris-Lyon vers l’Est mystérieux et envoûtant.

CRÉÉ EN 1883

Si l’âge d’or de l’Orient-Express se situe dans les années 20, sa créa- tion remonte à 1883. C’était déjà un train de luxe régulier qui reliait Boulogne à Constantinople par Ve- nise. Il permit à Pierre Loti de dé- couvrir la Turquie ; Guillaume Apol- linaire l’emprunta pour écrire « Les Onze Mille Verges ». Aujourd’hui, on peut toujours s’offrir le mythi- que Venise-Simplon-Orient-Ex- press. Il existe des départs une à deux fois par semaine.

« Une enquête façon Cluedo sur un crime en huis clos dans un train bloqué par la neige »

La voiture 3344 d’Aytré sentait en- core le neuf quand le train fut blo- qué pendant cinq jours dans les neiges turques en 1929. Les passa- gers durent chasser pour manger et il se dit que sur les nappes blan- ches du wagon-restaurant on ser- vit du loup. Cet épisode inspira d’ailleurs Agatha Christie pour son plus célèbre roman (1) qu’elle commença à écrire à son arrivée à Istanbul. Une enquête façon Clue- do sur un crime en huis clos dans un train bloqué par la neige. Deux ans plus tard, un attentat en Hon- grie fit dérailler le convoi cinq étoi- les. On déplora 20 morts et José- phine Baker se démena pour soigner les blessés. Après avoir vécu toutes les péripéties de l’âge d’or de l’Orient-Express, la voiture 3344 fit valoir ses droits à la re- traite en 1970 en tant qu’engin roulant. Rachetée par un particulier, elle fit office de salle de restau- rant au nord d’Orléans avant de venir renforcer la collection de wagons d’exception de Jacques Guyot au château de La Ferté- Saint-Aubin (Loiret), où une gare de l’Orient-Express a été reconstituée.

Et c’est cette même voiture 3344 entièrement restaurée dans le style Art déco de l’époque de sa création, avec ses lampes en bronze et abat-jour de soie rouge, assiettes en faïence de Gien, cou- verts en argent, qui sera mise en vente le samedi 5 juin à 12 heures par la maison Rouillac au château de Cheverny (Loir-et-Cher). « Je n’ai aucune idée de la valeur (2) qu’un tel bien peut atteindre. Ce n’est pas tous les jours qu’on vend la voiture d’un train de légende. Il y a eu juste un précédent en 1977 à Monaco. C’était Grace Kelly qui parrainait la vente », raconte Aymeric Rouillac, commissaire-pri-seur de l’hôtel des ventes de Vendôme, qui va diriger les enchères à Cheverny.

La troisième de la série

En cédant la voiture 3344 au plus offrant, Jacques Guyot espère récolter suffisamment de fonds pour restaurer ses autres wagons de prestige et son château musée.

Historien attentif de l’usine d’Aytré – Entreprise industrielle charentaise à l’époque, puis Brissonneau et Lotz, et enfin Alstom –, Christian Lorteau a retrouvé dans ses archives trace de la sortie des ateliers de cette fameuse voiture 3344 en 1928. « C’était la troisième de la série, qui allait jusqu’au nu- méro 3360. Elle était entièrement décorée, toute équipée avec cui- sine, et pouvait accueillir 56 con- vives », précise l’ex-ingénieur d’Alstom avec une pointe de fier- té dans la voix. Dans la région ro- chelaise, toute voiture conçue par l’entreprise aytrésienne et qui poursuit une carrière internationale suscite un véritable engoue- ment populaire. Avant-hier la 3344 de l’Orient-Express, hier le TGV, aujourd’hui le fameux AGV qui flirte avec les 500 km/h.

Plusieurs candidats se sont déjà manifestés pour acquérir cette pièce de collection de 53 tonnes et 22 mètres de long : une associa- tion suisse dans le but de la remet- tre sur les rails, d’autres candidats pour l’aménager en hôtel-restau- rant de charme.

Deux autres wagons historiques seront mis en vente en même temps que la voiture aytrésienne : un wagon-salon-lits de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerra- née de 1909 et une voiture-lit de 1949 des grands express européens.

(1) « Le Crime de l’Orient-Express » (1934).
(2) La mise en vente commence à 20 000 euros.

Renseignements au 02 54 80 24 24. Les wagons en vente sont visibles au château de La Ferté-Saint-Aubin.
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