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L’armoire de nos grands-mères

Vendredi 28 février 2020 à 07h

Cette semaine, Françoise de Mont-près-Chambord nous fait parvenir la photo d’une armoire qu’elle tient de ses parents et probablement de ses grands-parents et arrières grands-parents. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.



L’armoire de Françoise résonne a fortiori comme une « madeleine de Proust » dans la mémoire de bon nombre de nos lecteurs. Cet élément important du mobilier est un modèle classique qui composait souvent l’intérieur des maisons. Il était placé dans la chambre pour ranger le linge sinon dans le salon pour le mettre en valeur aux yeux des invités. En somme, l’armoire constituait un jalon important du décor. Mais plus qu’un effet mobilier, ce meuble revêt une valeur affective car s’inscrivant dans la culture populaire. L’armoire est le cadeau de mariage par excellence. Elle remplace le coffre en tant que présent nuptial dès le XVIIIe siècle. À la naissance d’une fille, les heureux parents plantaient un arbre en vue d’utiliser le bois pour servir à la création d’une armoire. En revanche, l’armoire n’est pas le cadeau à offrir à un jeune homme. Ses parents lui réservaient un buffet.

Le décor du meuble reflète largement les moyens financiers. Plus le décor est riche, plus il témoigne du rang social élevé des parents. À l’inverse, un décor simple reflète une condition plus modeste. Dans le cas de l’armoire de Françoise, il semble qu’il faille se situer dans un juste milieu. D’un côté, le menuisier a utilisé de la loupe pour le placage, alors même que la plupart des armoires sont en noyer. La loupe, c’est-à-dire une excroissance ligneuse causée par une piqûre d’insecte est une matière précieuse car relativement rare. D’un autre côté, le décor est peu sculpté, ce qui reflète un travail relativement humble. L’artisan a plutôt mouluré le bois afin de créer une ornementation. Reste néanmoins que cette armoire présente des formes généreuses. La partie inférieure, appelée tablier, est chantourné. Elle présente de fortes sinuosités. Quant aux pieds antérieurs, ils sont largement courbés et se terminent en escargot.

Ces motifs et formes sont caractéristiques d’une production : le style Louis XV. En revanche, il est impossible que cette armoire ait été produite sous le règne du Bien-Aimé. Elle se présente comme une réalisation produite dans le style ancien. En effet, la plupart de ces armoires a été réalisée au XIXe siècle et particulièrement dans la seconde moitié entre 1850 et 1914. Françoise semble avoir un doute en ce qui concerne sa provenance et se demande si cette armoire lui vient bien de ses grands-parents et arrières grands-parents originaires du Berry. Nous croyons qu’il est tout à fait possible que cette provenance soit celle qu’elle imagine, car cette armoire est un bon exemple de la production du Centre de la France.
Aujourd’hui, ces meubles sont peu recherchés. Ils correspondent moins au goût et surtout aux dimensions des maisons contemporaines. Les plafonds étant plus bas, il est difficile de loger de tels meubles. D’ailleurs, l’absence de la corniche est peut-être révélatrice du manque de place dans la maison de Françoise ? Plus l’armoire est haute, plus le prix est bas… En raison de ses dimensions qui paraissent relativement importantes, nous pourrions estimer cette jolie armoire du Val-de-Loire produite au XIXe siècle autour de 100 euros. En vertu de ce prix modeste, j’invite notre lectrice à conserver cette armoire d’autant qu’elle constitue un élément essentiel du patrimoine familial.
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