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Rodin et Camille Claudel font valser les enchères

Mercredi 31 mai 2017

Le Figaro, Béatrice de Rochebouet

Alors que le marbre de Rodin, Andromède, s'est envolé à 3,6 millions d'euros, le 30 mai, chez Artcurial, à Paris, la maison Rouillac s'apprête à vendre, le 11 juin, au Château d'Artigny (Val de Loire), un bronze inédit de La Valse par Camille Claudel.



Quand la qualité est là, Paris peut faire aussi bien, si ce n'est mieux, que Londres ou New York! La démonstration nous a été faite, mardi soir, 30 mai, chez Artcurial, où un marbre blanc de Rodin, Andromède, s'est envolé à 3,6 millions d'euros, soit 4,1 millions de dollars, sous le marteau de Françis Briest, dans une salle comble à l'ambiance électrique.

Exécutée en 1887 et signée du maître, la sculpture qui avait voyagé dans les différents bureaux d'Artcurial en Europe, était convoitée par une dizaine d'enchérisseurs, principalement Américains, Anglais et Européens. C'est un Suisse, amateur bien connu de la maison mais qui n'avait pas enchéri depuis longtemps chez Artcurial, qui l'a emporté au téléphone pour sa collection personnelle que seuls les initiés connaissent...
Rodin, «Andromède». Crédit photo: Studio SEBERT

Une preuve de plus que Paris est bien un lieu attractif pour les étrangers qui représentent 70% des acheteurs chez Artcurial, comme dans les autres maisons de ventes d'ailleurs. «Nous n'avons pas de leçon à recevoir de New York ou de Londres qui ne font pas confiance à Paris qui est toujours considérée comme une place où l'on aspire les œuvres pour les exporter, s'insurge Francis Briest. Tant que Christie's ou Sotheby's continueront à ne pas mettre des pièces majeures dans leurs ventes d'art moderne et contemporain, cela n'incitera pas les vendeurs à confier leurs œuvres à la vente à Paris. Ils ne jouent pas le jeu. Et c'est le serpent qui se mord la queue».

Par cette adjudication à un peu plus de 4 millions de dollars avec les frais, Artcurial a dépassé Christie's qui avait vendu pour 3 millions de dollars un marbre similaire d'Andromède mais avec des variantes, en novembre 2006, à New York. Il provenait de l'ancienne collection Gabriel Hanotaux et était l'un des cinq autres exemplaires connus dont trois sont dans des institutions. Le premier, propriété de Roger Marx est au musée de Philadelphie. Le deuxième commandé par Maurice Fenaille est au musée Rodin. Le troisième provenant de l'ancienne collection Jacques Zoubaloff est au musée national de Buenos-Aires.

Une histoire comme l'aime le marché de l'art

Certes, entre 2006 et 2017, la cote de Rodin a fait son chemin. Le sculpteur est l'artiste mythique à avoir dans sa collection. Et les belles pièces, avec des provenances irréprochables compte tenu des nombreux faux qui ont circulé pendant des années et qui sont maintenant répertoriés par l'expert Jérôme Le Blay du Comité Rodin, sont de plus en plus rares. Il est vrai aussi que Rodin est sous le feu des projecteurs alors que l'on célèbre dans le monde entier, et principalement à Paris avec l'exposition du Grand Palais et l'accrochage du musée Rodin, le centenaire de sa mort. Cela attise encore plus l'envie des amateurs.

Ce marbre, que tous sont venus admirer sur son socle tourant, dans l'écrin de boiseries de l'Hôtel du Rond-Point des Champs-Élysées, avait une histoire comme l'aime le marché de l'art. En 1888, en poste à Paris, le diplomate chilien, Carlos Lynch de Morla avait demandé à son ami Rodin de réaliser le portrait de sa jeune épouse, Luisa. Le sculpteur immortalisa alors sa beauté dans le marbre. Le buste fut exposé la même année au Salon national des Beaux-Arts. Devant son succès, l'État français souhaita l'acquérir pour le faire entrer dans les collections du musée du Luxembourg (connu sous le nom de «Madame Vicunha» ou «la charmeuse», il est aujourd'hui conservé au musée d'Orsay). En ami des arts et de la France, le Chilien accepta le marché. En échange, Rodin lui offrit cette Andromède, considérée comme l'un des plus beaux exemples de l'interprétation d'un mythe antique dans son œuvre.

Le nom d'Auguste Rodin est indissociable de celui de Camille Claudel, elle aussi au cœur de l'actualité avec la sortie du film Rodin réalisé par Jacques Doillon et présenté en compétition au dernier Festival de Cannes. Pour se faire, quelques scènes ont été tournées l'an dernier au Château de l'Islette, propriété de Bénédicte Michaux (Indre et Loire), où a été présentée, avant sa vente le 11 juin, au Château d'Artigny, sous le mateau de la maison Rouillac, un bronze inédit représentant la célèbre Valse réalisée par Camille vers 1900.

C'est en ouvrant un placard que les Rouillac père et fils ont découvert La Valse

C'est justement au château de l'Islette où se retrouvaient les deux amants que La Valse aurait été imaginée par Camille Claudel. L'épreuve en bronze à patine brun-noir (46,7 cm de haut) ne porte pas de cachet de fondeur. À l'inverse de celle de Siot Decauville, édition de 1893 de plus grande taille (96 cm), vendue au prix record de 5,1 millions de livres, soit 8 millions de dollars, en 2013, chez Sotheby's à Londres, après avoir été longtemps proposée à la vente chez un marchand du nord de l'Europe. Celle proposée chez Rouillac affiche une estimation de 500.000 euros. Un prix moindre qui peut interpeller les connaisseurs car si la provenance est irréprochable, cette Valse vaut sûrement beaucoup plus.
Camille Claudel, «La Valse», vers 1900, estimée entre 500.000 et 800.000 euros, sera en vente le 11 juin chez Rouillac, au château d'Artigny (Val de Loire). Photo: François BOUCHON / Le Figaro

«Certes, cette fonte au sable avec une grande signature de Camille Claudel ciselée postérieurement ne porte pas de cachet de fondeur, tout comme d'ailleurs celle du musée Rodin», observe Eve Turbat, du jeune cabinet d'expertise en sculpture installé, depuis septembre dernier, au 69 rue Saint-Anne, dans le même immeuble qu'Éric Turquin, spécialiste en tableaux anciens et la Galerie de Bayser, spécialiste en dessins anciens.

En 1905, le fondeur Eugène Blot a racheté les droits d'édition à Siot -Decauville pour faire La Valse en grande (24 exemplaires avec un tirage maximum à 50 épreuves) et petite taille. Notre bronze - il montre des variantes comme tous les autres connus sur la terrasse ou dans la position des amants qui s'enlacent - date d'avant».

«Aucun indice ne permet d'avancer un nom de fondeur», ajoute l'expert. «Camille Claudel ayant cédé ses droits sur la sculpture, elle se devait de rester discrète dans l'exploitation de son modèle. C'est sûrement la raison pour laquelle aucune marque de fondeur n'apparaît mais également pourquoi elle a multiplié les variantes de son œuvre, aussi bien dans les nombreux plâtres que dans les bronzes qu'elle a diffusé elle-même». Pour l'heure, la pièce en question a été vue en photo, ou va l'être en chair et en os, dans les prochains jours par tous les spécialistes d'Auguste Rodin et de Camille Claudel. À commencer par Bruno Gaudichon, conservateur de la Piscine à Roubaix, Catherine Chevillot, directrice du musée Rodin ou Édouard Papet, conservateur à Orsay.

En attendant de connaître définitivement leur verdict, l'apparition de cette Valse a de quoi faire rêver les collectionneurs. C'est en ouvrant un placard que les Rouillac père et fils l'ont découvert. Le bronze était resté plus d'un siècle à l'abri des regards. Gardée secrète par une famille de l'Oise, elle faisait partie de la collection de l'entrepreneur en bâtiment Joseph Allioli, qui travaillait avec Rodin. Une histoire dont le marché s'est emparé dans l'instant pour faire monter les enchères..
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