FR
EN

A la table Berrichonne, gnole et moutarde

Samedi 18 décembre 2010

Cette semaine, un lecteur nous demande notre avis à propos d’un petit ensemble de « poteries ». Il s’agit d’un service à liqueur, composé d’un plateau avec cinq gobelets et un petit pichet à bouchon de liège.

Cette semaine, un lecteur nous demande notre avis à propos d’un petit ensemble de « poteries ». Il s’agit d’un service à liqueur, composé d’un plateau avec cinq gobelets et un petit pichet à bouchon de liège.

Posé en milieu de table, il permet de servir la « gnole ». L’ensemble comprend également deux autres pichets et un moutardier, récipient à couvercle échancré pour y laisser passer une petite cuillère. Mais s’agit-il vraiment de poteries ?... Car, en matière de céramiques, il existe de nombreuses techniques à distinguer. En effet, selon la définition de Brongniart, scientifique contemporain de Napoléon, le terme céramique est le mot générique utilisé pour qualifier toute terre soumise au feu et subissant ainsi « une transformation physico-chimique irréversible ». Plus simplement, sous l’effet de la cuisson, la terre change de nature en devenant dure. Il y a ensuite des subdivisions : les pâtes poreuses et lespâtes dures. Les premières, à savoir les poteries et les faïences, nécessitent un émail pour être imperméables et ne pas absorber les liquides ou les denrées alimentaires qu’elles peuvent contenir. Les secondes, c’est-à-dire les grès et les porcelaines, sont imperméables de nature. En effet, contrairement aux pâtes tendres, elles contiennent, en plus de l’argile, une forte proportion de silice. A haute température, la silice se vitrifie et rend la terre imperméable.

Le lecteur nous indique également que ses objets sont signés de « DENBAC ». Cette marque est la contraction de deux noms, ceux de René Denert et de René-Louis Balichon. Le premier est artiste ; le second est un habile gestionnaire. De leur collaboration se développe dans les années 1920 une grande entreprise de céramiques installée à Vierzon. Dans cette ville existent déjà plusieurs fabriques de porcelaines, qui produisent les tasses et autres mazagrans utilisés dans les grands cafés, tandis qu’à Limoges sont réalisés les services présentés sur les tables plus bourgeoises. Denert et Balichon savent donc qu’ils y trouveront facilement une main-d’œuvre qualifiée. De plus, le charbon nécessaire à la cuisson arrive directement du bassin de Blanzy par le canal de Berry. La production se spécialise rapidement dans les grès artistiques. Les trois fours mesurent quinze mètres de haut sur environ six mètres de diamètre. Après démoulage, les pièces y subissent une première cuisson autour de 900°C. Elles sont ensuite trempées dans un bain d’émail. La deuxième cuisson se fait à plus haute température, autour de 1.300 à 1.400°C. La terre se vitrifie et les oxydes métalliques contenus dans l’émail prennent différentes teintes, produisant de beaux effets colorés, ondés et jaspés. Le résultat dépend de la température, mais aussi de la présence ou non de fumée et de la place de l’objet dans le four… Une céramique, et notamment un grès, est donc le résultat des recherches d’un artiste et parfois du hasard. C’est à l’ouverture du four que l’on découvre si l’objet est réussi. La production de Denbac est certes importante, mais elle n’est donc pas industrielle ; elle demeure artisanale.

Dans l’entre-deux-guerres, l’entreprise Denbac emploie vingt-cinq personnes. René Denert meurt en 1937. Durant la Deuxième Guerre mondiale, l’activité cesse. Elle reprend en 1949, mais les temps ont changé. L’évolution de la production nécessite de trop importants investissements, et l’entreprise ferme définitivement en 1952. Il nous reste aujourd’hui de nombreux grès réalisés principalement dans les années 1920-1930, ce qui semble être le cas des pièces qui nous sont présentées. D’ailleurs, le petit moutardier, avec son décor naturaliste très typique – avec en ronde bosse un canard et un escargot - rappelle l’esprit Art Nouveau, apparu vers 1900. Leur valeur ne dépasse pas quelques dizaines d’euros. Les grands vases et les encriers de Denbac, toujours des pièces ayant une fonction utilitaire, sont plus recherchés des collectionneurs. Il s’agit toutefois d’objets originaux, qui embellissent une table et peuvent être utilisés au quotidien… et pas seulement dans le Berry !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :