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JEAN RENONCOURT : DERNIERES ENCHERES

Vendredi 13 juin 2014

Le Figaro, Valérie Sasportas



Le doyen des antiquaires parisiens vend le fonds de sa galerie chez Rouillac, à Cheverny, dimanche 15 juin à 14h.

Jean Renoncourt jette l'éponge. À 89 ans, le doyen des antiquaires à Paris vend le fonds de sa galerie du Quai Malaquais, que Jacques Chirac avait surnommée «le fleuron du quai», avant fermeture définitive. Quelque 180 meubles d'époque Empire et de la Restauration, dont trente-huit lustres vont être dispersés ce dimanche 15 juin par Aymeric Rouillac à Cheverny (Loire-et-Cher). Une vente hommage, organisée dans le cadre de la 26e et dernière vente à l'Orangerie du château (mais pas à Cheverny) organisée sur trois jours, dès ce vendredi 13 après-midi puis dimanche 15 et lundi 16 juin (à 14 heures). «89 ans, ce n'est pas vieux pour une cathédrale?!», feint d'interroger le vieux marchand, qui nous reçoit au milieu de ses derniers meubles, dans sa galerie située face au Louvre, quelques heures avant sa fermeture définitive.Il aura, toute sa vie, œuvré pour redonner ses lettres de noblesses aux meubles du Premier Empire et de la Restauration, au début XIXe. Son regard se pose sur une des huit chaises Consulat au dossier cintré en forme d'écu retourné. D'une étonnante modernité. «Elles ont la particularité d'avoir le dossier en feuille de lotus, c'est très rare!», s'exclame Jean Renoncourt. «Ces chaises ont la marque au fer du Garde-Meuble-Royal d'époque Restauration. Puis on retrouve ces chaises en 1862, dans la vente du marquis de Mornay, précise Aymeric Rouillac. La fiche du catalogue fait l'effet d'un menu de grand restaurant: «acajou, placage d'acajou blond et filets marquetés d'ébène pour l'une et de bois noirci pour les sept autres». Jean Renoncourt semble avoir un peu perdu le fil de l'histoire: « On a retrouvé la commande, la livraison par l'ébéniste, lui rappelle le jeune commissaire-priseur. Vous en avez vendu la moitié aux Rotschild».

Chaque objet porte une histoire, fascinante
Le choix de vendre en province plutôt qu'à Paris a délié les mauvaises langues. «Il est passé de mode. Invendable à Drouot», raillent-elles. Jean Renoncourt n'en a cure. Quand on a commencé le métier à l'âge de 13 ans, comme lui, on en a entendu d'autres… « Je connais bien maître Philippe Rouillac, le père d'Aymeric. Je l'ai vu agir pendant 25 ans, ça m'a plu», élude-t-il. Le seul objet qu'il lui ait acheté est dans la vente, un guéridon en placage de frêne avec plateau de lave à décor pompéien. L'antiquaire a acheté dans toute la France et à l'étranger, surtout en Russie et en Suède, «la patrie des Bernadotte», en Amérique. Souvent cher. «À l'époque où les affaires marchaient bien, j'avais ma formule: je préfère un bel objet chez moi très cher que chez le voisin», sourit Renoncourt. Avant d'ajouter le conseil d'un ami devenu sa devise de marchand: «Si tu parles d'un objet, ne l'achète pas. Mais s'il te parle, achète-le».«Il y a une immense diversité dans l'Empire, vante Aymeric Rouillac, tout imprégné de l'esprit des lieux: «meubles avec Bacchus, virilité érotique du Sphinx, charme féminin, ou grâce d'un angelot». En voici deux qui composent le coup de cœur de l'antiquaire: deux amours forment les anses d'une paire de chandeliers daté plus de deux cents ans. La fiche est de la poésie: «Paire de buires ovoïdes à piédouche en bronze patiné et bronze doré ciselé ornées de feuilles d'acanthes, rubans, feuilles de chêne et feuilles lancéolées», lit-on.

La jeune génération a un peu perdu le fil
«Un angelot répond à un autre angelot, poursuit Aymeric Rouillac. D'un côté l'objet porte un masque viril, avec son répertoire iconographique rappelant les trophées de la victoire, les lauriers, des feuilles de chênes. Mais en même temps, il montre une grande fragilité, le déséquilibre presque de ces anges qui se tiennent chacun sur un pied, fesses rebondies, potelées. On est à mille lieux d'un massacre». Chaque objet porte une histoire, fascinante, un thème de la mythologie propre aux arts décoratifs.

Pourtant, au milieu de ces candélabres et meubles en bronze doré et placage d'acajou, l'impression se dégage d'un goût d'antan, d'une époque révolue. «Jean Renoncourt n'a pas de successeur, pas de repreneur pour la galerie. C'est le marché tel qu'il ne se pratique plus, une fin de cycle pour l'Empire», reconnaît Aymeric Rouillac, pour mieux rebondir: «Aujourd'hui, les prix sont très raisonnables. Le moment d'acheter. Et même un petit peu plus cher, l'objet en parfait état. Vous serez gagnant dans l'investissement», affirme-t-il. Au catalogue, les lustres sont estimés entre 2000 et 5 000 euros, les paires de chandeliers autour de 4000 à 6000 eurosLa jeune génération a un peu perdu le fil. À son attention, le catalogue de vente a été conçu comme un magazine de décoration. Un catalogue pédagogique, conçu avec deux experts, Hugues de Lencquesaing et Jacques Bacot, rappelant les beaux itinéraires des ébénistes et des grands bronziers d'alors. «Jacob l'ébéniste avait trois cents ouvriers», souligne Jean Renoncourt. «Rateau en avait deux cents», ajoute le commissaire-priseur qui s'occupe aussi de la succession Rateau dans la vente.Pour la première fois, les Rouillac ont scanné à 360° un certain nombre d'objets, technique muséale donnant l'impression de tourner autour de la pièce. «Nous sommes les premiers à le faire en vente publique en France», s''enorgueillit le commissaire priseur qui conclut: «L'objectif n'est pas de raccrocher ou de faire une cote, mais de tourner l'histoire avec panache».
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