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Une porte torchère d'ombres et de lunières

Samedi 02 octobre 2010

Photographiée dans un bel intérieur de la vallée de la Loire, la sculpture de notre lectrice rappelle les longue relations de l’Europe et de l’Afrique, nous explique le commissaire-priseur Aymeric Rouillac.

Photographiée dans un bel intérieur de la vallée de la Loire, la sculpture de notre lectrice rappelle les longue relations de l’Europe et de l’Afrique, nous explique le commissaire-priseur Aymeric Rouillac.

Le « Mythe du Bon sauvage » s’impose dans l’imaginaire européen au début du XVIIIe siècle, après l’épisode honteux du trafic triangulaire, lorsque des Européens « exportaient » des Africains vers l’Amérique. On pleure alors avec Jean-Jacques Rousseau l’innocence du paradis perdu, et on se penche sur les amours de Paul et de Virginie. Cette vogue pour l’exotisme se traduit dans les Arts décoratifs par l’utilisation de l’image du Nubien : l’habitant des noires contrées de l’Afrique. L’homme noir devient paradoxalement un symbole du Siècle des Lumières.

L’objet que nous envoie notre lectrice est un « Porte-torchère au Nègre ». À mi-chemin entre sculpture décorative et luminaire fonctionnel, ce porte-torchère est en bois noir (de l’ébène ?) peint. Sur une base de colonne drapée, un jeune Nègre enturbanné repose en équilibre sur un pied, une ceinture de grelots autour de la taille. Vêtu d’un pagne chamarré, il présente dans sa main droite une coupe, et porte dans l’autre main, au-dessus de sa tête, un flambeau à plusieurs bougies : une torchère.

L’ensemble est joliment proportionné et l’on remarque à certains détails la qualité de la finition. D’abord les yeux du garçon et ses dents sont extrêmement réalistes : peut-être sont-ils en pâte de verre ? Ensuite, la peinture figurant le pagne imite avec succès la soie et l’or. Enfin, le jeune homme porte des boucles d’oreilles dorées dont l’éclat contraste avec sa peau noire et brillante.

La ville de Venise en Italie a été la première à produire des porte-torchères au nègre au début du XVIIIe siècle. Elle était en effet la porte de l’Europe vers les richesses de la Méditerranée. Ce type d’objet a été à la mode jusqu’au début du XIXe siècle, puis sous le règne de Napoléon III et sous la IIIe République lorsque la France redevient une puissance coloniale. Ces portes torchères vont généralement par paire : un Nubien et une Nubienne qu’on dispose de part et d’autre d’une tapisserie par exemple !

Le prix de cet objet varie donc suivant sa région de production (Venise ou la France), sa période de fabrication (de la fin du XVIIIe jusqu’au début du XXe siècle) et suivant qu’il va en paire ou non. La très grande qualité de ce porte torchère justifie un prix de 5.000 €, à affiner en fonction des éléments précisés. Allumez les bougies, contemplez le sourire gracile du « jeune sauvage » et replongez-vous dans l’ « Atala » de Chateaubriand... on est toujours le sauvage d’un autre : « Je vois en toi l’homme civilisé qui s’est fait Sauvage ; tu vois en moi l’homme sauvage, que le grand Esprit, sans doute pour ses desseins, a voulu civiliser. »
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