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CES TRÉSORS QUI DORMENT DANS VOS GRENIERS

Vendredi 16 novembre 2012

Le Figaro Magazine, texte de Valérie Lejeune et photos de Pierre-Olivier Deschamps

L'œil du commissaire-priseur est une crible. Mais les pépites doivent être authentifiées.
Si cette toile est bien l'une des dernières de Maurice de Vlaminck, elle pourrait être estimée à 10 000 €.
Chaque jour en France, des commissaires-priseurs annoncent à des particuliers que le tableau, la sculpture ou le manuscrit qu'ils trouvent chez eux et croyaient sans intérêt sont des objets de valeur. Nous avons pu le vérifier dans l'étude de l'un d'entre eux, à Tours.

Dans les bras du géant, la danseuse est minuscule.Il y a dix secondes,cette sculpture, chryséléphantine dormait dans un sac de supermarché. A présent, la voici qui semble souhaiter la bienvenue à Me Philippe Rouillac et à son fils Aymeric. La scène se passe àTours, face au palais de justice, où chaque mercredi (le jeudi, ils sontà Paris) ces deux hommes de l'art reçoivent, pour un conseil, une expertise, une vente future, tous ceux qui s'interrogent. « Nous sommes des généralistes, aime à dire Rouillac père, on vient vers nous pour avoir un diagnostic.>» Tels des médecins en leur cabinet, les voici qui questionnent. On répond. La dame est dans la famille depuis des lustres. Le géant, lui, en a hérité il y a quinze ans. Son ancien propriétaire, copain du sculpteur Chiparus, taquinait lui-même la gouge et le ciseau du côté de Neuilly.

Suit l'examen clinique. La breloque au cou de la danseuse est une demi-perle fine ; l'ivoire, quoiqu'un peu gris, montre un travail habile ; du nez mutin au dernier orteil, tout est nettement ciselé. Mieux, derrière l'écritoire qui sert de podium à la belle, le nom de l'artiste, gravé dans l'onyx vert, étale ses boucles naïves. L'indice est de taille, mais pas irréfutable. Rouillac fils s'empare de sa tablette. « Autrefois, nous avions uniquement des livres de référence. Aujourd'hui, internet nous aide beaucoup. Depuis 1993, nous y transférons nos catalogues. Toutes ces sources, combinées avec notre œil et nos connaissances personnelles, nous permettent de travailler par analogie. » Sur l'écran s'inscrit la griffe du prince de l'Art déco. Les deux signes sont sûrement de la même main. Il y a aussi le chiffre 38 gravé près de la signature. Est-ce une date ? Chiparus est mort en 1947... « J'aurais tendance à dire qu'elle est bonne », avance avec prudence le benjamin de cette lignée de commissaires-priseurs où l'on manie le marteau depuis trois générations. « Elle est bien dans l'esprit » reprend Philippe qui, armé d'une lampe-loupe détaille les fossettes du visage tout en rêvant aux Ballets russes, à l'orientalisme, à Diaghilev. Car l'histoire d'un objet et l'époque qui l'a vu naître sont à ses yeux, aussi importantes que la mise en vente proprement dite et raconter tout cela dans son catalogue, aussi excitant que de faire grimper les enchères. Et... le prix ? demande le géant. Là encore,on compare. L'an dernier à Cheverny, la grande vente des Rouillac qui, deux jours durant,au mois de juin, anime l'orangerie duchâteau, une autre danseuse du même artiste a été vendue 19 000 €. Celle-ci frôlera peut-être la barre des 10 000. Et au-delà ? Dieu seul sait. Et Dieu parfois est farce. 

DERRIÈRE CHAQUE OBJETS SE CACHE TOUTE UNE HISTOIRE
En attendant le visiteur suivant, Philippe Rouillac se remémore l'incroyable histoire de ce petit médecin de campagne qui lui apportaun soir d'hiver, à Vendôme, un panneaude bois tout fendu représentant unefemme nue à côté d'un arbre ou rêvassaitun angelot. Un brocanteur lui en a proposé 20 000 F(3 000 €). Lui n'aime ni le traitement, « c'est pas normal, ce déhanchement », ni le sujet« nue comme ça avec juste un voile, c'est pas bien correct, on l'a fichue dans une chambre à l'étage... » Et puis 20 000 Francs, qu'est-ce qu'il en pense ? C'est trop pour une reproduction et pas assez si l'on en croit le petit dragon ailé que vient de découvrir Rouillac sur le tronc de l'arbre. Cranach signait comme ça... Et si c'en était un ? Un expert de ses amis le persuade de requérir l'avis du seul homme capable de départager les doutes - l'auteur du catalogue raisonné du maître allemand de la Renaissance. Il a 88 ans, vit à Berne avec son fauteuil roulant, ses besicles, son cornet acoustique, car il est sourd et il ne reçoit personne. Rouillac insiste, une fois, trois fois. Le bonhomme cède. Et le voilà, gants blancs, rideaux fermés et bougonnant, mirant et retournant le panneau. « Vous restez  dîner ce soir ! ». Rouillac ne se souvient pas du menu mais de l'agacement de l'expert, obligé à cause d'un petit commissaire-priseur français de revoir le chapitre qu'il consacre, dans son futur livre, aux Vénus du peintre.

Retour au pays. Expliquer au médecin qu'il détient une pièce importante n'est pas facile. « Ça va nous coûter cher, vos services ? » « Oui, répond Rouillac, mais on démarrera à  20 000 F. Ainsi vous n'aurez rien perdu. » Le jour de la vente, douze téléphones relient Cheverny au reste de l'Univers. Le médecin et sa femme sont au premier rang. Quand le maître de cérémonie fixe le prix de départ, la salle éclate de rire. Le couple se tasse à mesure que les enchères montent. Et elles montent vite. Et elles montent haut. Le marteau tombe à 14 millions (2,5 millions d'euros). Cinq minutes plus tard, une camionnette du Samu emporte le médecin vers l'hôpital de Blois. « II s'en est remis, précise l'officier ministériel. Le plus beau, c'est qu'il a donné I’ essentiel de ses gains à des œuvres et le reste à ses enfants... » 

Coup de sonnette. Cette fois-ci, un amateur apporte une litho de Louis Icart et un ours en bronze attribué au sculpteur animalier Barye. La litho est très abîmée. Aymerict trouve les mots pour définir, sans chagriner le visiteur, une œuvre qui, après restauration, ne dépassera pas 1 000 à 2 000 €. Quant au bronze, charmant mais manquant de finesse, il ne comporte ni la signature de l'artiste ni celle du fondeur. C'est peut-être un surmoulage. Dans le doute, le plantigrade reprendra avec bonheur son hibernation, sur la table basse, près de la télévision. 

POUR L'EXPERT, DANS UN TABLEAU, L'ENVERS VAUT L'ENDROIT
Dans le salon d'attente patientent à présent un père et son fils. Sur les genoux du fils, un petit tableau rectangulaire. Unesuccession les a rendus propriétaires de ce paysage fluvial au bas duquel ils ont découvert,en retirant le cadre, une signature, qui ressemble à celle de Vlaminck. Aymericsort sa loupe et le catalogue de Cheverny 2012 où fut vendue ce printemps une toile du même artiste. Essayons la lumière blanche, propose-t-il, en maintenant sa tablette au-dessus du tableau. Le procédé, très récent, permet de savoir sil' œuvre a été touchée, repeinte. « S'il y en avait une autre, au-dessous, elle apparaîtrait en blanc. De même, vous voyez comme la signature est bien "dans la pâte"... Si elle avait été rajoutée, elle aurait une autre intensité. »   L'envers du tableau aussi est bavard. On y lit la date de 1958 et le N° 11.8. Philippe, prestement, chausse sa casquette de Sherlock, Holmes pour situer cette œuvre parmi les tout derniers tableaux du peintre, mort précisément en 1958, à Rueil-la-Gadelière.« D'ailleurs, voyez le châssis à clé : ce type de matériel était coûteux. Il ne pouvait probablement pas se l'offrir au début de sa carrière. En revanche, à la fin de sa vie, il en avait les moyens. » Et d'évoquer les bords du Loir où l'artiste, ami d'André Derain, a probablement posé son chevalet pour peindre la scène. Père et fils rentreront chez eux les mains vides, laissant la toile aux commissaires-priseurs après avoir signé les deux exemplaires d'un document fixant notamment les conditions de la future transaction,soit 16,72 % de commission et 5 % de taxe mobilière si l'on ne peut prouver que l'on possède l'objet depuis plus de douze ans. De leur côté, les Rouillac iront probablement faire un tour au Wildenstein Institute pour se faire confirmer, verbalement ou par un certificat, le bien-fondé de leur juge- jugement.« On a toujours le droit de dire que l'on ne sait pas. Et lorsqu'on sait, on a toujours le risque de se tromper... »

La fortune à portée de main
Des écus, des escudos et des louis exhumés lors d'un chantier de rénovation ; un inestimable sceau de jade retrouvé dans un placard ; un rouleau impérial oublié derrière une plante verte ; de vieilles photos jaunies au fond d'un tiroir... Tout à coup, la fortune sourit à des inconnus. Les recoins de nos caves et de nos greniers sont parfois de véritables mines d'or dont nous ignorons les filons. Dans leur ouvrage, Vous êtes riche sans le savoir * Philippe Colin-Olivier et Laurence Mouillefanne retracent l'histoire de 26 objets que le hasard et parfois la nécessité ont sorti de la poussière et de l'indifférence pour devenir, sous le marteau d'un commissaire- priseur, des enchères fabuleuses. Avec humour et précision, les deux complices détaillent les coïncidences extraordinaires qui ont conduit de simpies particuliers à devenir propriétaires d'objets uniques, voire à entrer dans le cercle des contribuables soumis à l'ISF ! Aux frontons de ces histoires souvent rocambolesques brille toujours une bonne étoile, le signe de l'aventure et l'idée que, comme au Loto, chacun de nous peut un jour gagner la course au trésor. Tentant, non ?
VL

* Editions Le Passage, 288 p., 18 €.
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