FR
EN

"Allons z'enfants...!"

Samedi 17 juillet 2010

Un jouet soldat-musicien des années 1950 nous plonge au cœur des guerres de décolonisation… et de la propagande militaire à destination de la jeunesse.

Un jouet soldat-musicien des années 1950 nous plonge au cœur des guerres de décolonisation… et de la propagande militaire à destination de la jeunesse.

Claude nous envoie les photos d’un jouet, qu’il a reçu dans des conditions très particulières. « En 1962 ma mère et moi nous regardions partir les soldats français après la victoire du F.L.N.quand un soldat est sorti du rang pour me donner ce jouet. Il s'agit d'un soldat musicien de marque SCHUCO, il a la particularité de jouer le slogan de l'organisation fasciste l'O.A.S. "ALGÉRIE FRANÇAISE". »Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, répond au message de notre lecteur.

Comme ce jouet, le défilé de troupes africaines sur les Champs Élysées le 14 juillet rappelle les relations mouvementées entre la France et l’Afrique. On se souvient à Blois des débats passionnés des Rendez-vous de l’Histoire sur le thème de l’Afrique en 2003. Le jouet qui nous est soumis aujourd’hui représente un soldat musicien avec tambour et cymbale, dont le visage métallique est peint. Il est vêtu d’un uniforme de feutre gris à galons rouges, avec une ceinture et des chaussures imitant le cuir. Son béret est posé sur des cheveux en mohair brun, la même matière que celle des ours en peluche. Une clé dans le dos permet de remonter un mécanisme qui actionne les deux bras. Le bras droit frappe avec une baguette sur un tambour, quand le gauche actionne une cymbale. Ce type de jouet mesure généralement de 10 à 15 centimètre.


Claude nous explique que le soldat-tambour joue le slogan « Algérie Française ». Pourtant ce type de jouet n’est normalement pas équipé d’une boite à musique : ne s’agirait-il pas plutôt du rythme du tambour qui joue ce slogan ? Le chant patriotique « L’Algérienne » est composé par Henri Ronsay et Alain Romans alors que la guerre d’Algérie bat son plein entre1954 et 1962. Il enthousiasme civils et militaires avec des paroles simples : « Algérie,Algérie Française ton jour de gloire est arrivé » ou encore :« Les soldats de l’armée d’Afrique ont su mourir pour la patrie ; pour l’honneur de la République, sachons mourir pour l’Algérie. » Aussi, certains partisans de l’Algérie française n’acceptent pas l’indépendance de ce pays après les accords d’Évian en 1962. Une Organisation Armée Secrète (O.A.S.) est même fondée, par des militaires « ultras » mais aussi par des anciens gaullistes et par des héros de la deuxième guerre mondiale. Ce jouet fait-il partie de la propagande de l’O.A.S. comme le croit notre lecteur ? Rien n’est moins sûr…mais pourquoi pas ?

SCHUCO est un grand fabricant allemand de jouets depuis 1912. Ses modèle réduits de voitures, et en particulier d’automobiles militaires, ont un grand succès tout au long des années 1930 à 1950. L’industrie du jouet en Allemagne, comme en France et partout sur terre suit les modes nationales, servant la propagande militaire de son époque. Quel jeune garçon n’a jamais joué au petit soldat dans la cour de récréation ou avec des figurines ? Mais regardez : ce soldat musicien porte un uniforme de laine beaucoup trop épais pour les sables d’Afrique du Nord. Cet uniforme ne correspond pas à celui de toile léopard ou kaki de l’armée française en Algérie. Ce jouet date bien de la fin des années 1950, mais représenterait plutôt un soldat suisse, neutre et chaudement couvert, qu’un parachutiste de l’O.A.S. Le rythme du tambour et de la cymbale ont pu être assimilé à celui de « l’Algérienne » dans l’imaginaire d’un enfant. À moins que le soldat qui l’a offert à notre lecteur en 1962 n’ait incorporé lui-même une boite à musique dans le corps du jouet ? Ce qui en ferait un modèle unique, digne d’un musée du jouet ou même de l’armée !

Jouet de propagande nationaliste ou militaire, ce petit tambour reste assurément le souvenir d’un rêve d’aventures pour l’enfant qui l’a reçu d’un militaire sentant bon le sable chaud. En l’état, et si son mécanisme fonctionne, comptez de 80 à 100 € pour ce soldat-tambour de marque SCHUCO. Un petit conseil de lecture d’été s’impose : « Le Tambour » de Günter Grass paru en 1959, à la même époque où ce jouet est créé. Si vous préférez le cinéma, passez votre soirée devant l’excellente adaptation cinématographique du « Tambour » par Volker Schlöndorff, où avec un autre film de Jean-Jacques Annaud : « La victoire en chantant… »
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :