Étain allemand...pour vin...français !

Cette semaine, Jean-Jacques nous envoie la photographie d’un récipient « qui possède trois pieds » et porte des inscriptions en dessous. Héritage familial, il nous demande si cet objet fait partie d'une collection et a une certaine valeur ? Maître Philippe Rouillac, commissaire-priseur à Vendôme, lui répond.

Cette semaine, Jean-Jacques nous envoie la photographie d’un récipient « qui possède trois pieds » et porte des inscriptions en dessous. Héritage familial, il nous demande si cet objet fait partie d'une collection et a une certaine valeur ? Maître Philippe Rouillac, commissaire-priseur à Vendôme, lui répond.

Notre récipient cylindrique est un dessous de bouteille fabriqué dans un alliage à base d’étain. Il repose sur trois pieds courbés et moulurés à décorde têtes d’enfant joufflu appelé « putto ». Le décor tourne autour de ce cylindre et se décompose en trois compartiments. Il est composé d’après le répertoire ornemental de la Renaissance emprunté à l’Antiquité. Dauphins stylisés en écoinçon, volutes symétriques de fleurs et feuilles d’acanthes, l’ensemble s’organise harmonieusement sans surcharge. Ce décor est utilisé depuis la fin du XVème siècle, il est dit « a raffaellesche », du peintre Raphaël. On le retrouve en Europe en céramique et en décoration intérieure. L’ornemaniste, dessinateur du XVIIème Bérain s’en inspire. Finalement on le retrouve dans les arts décoratifs au XIXème. Notre étain a été produit dans ce siècle éclectique où la Renaissance revient à la mode. Notre Weinflaschenständer, support de bouteille de vin allemand, permet de poser et présenter une bouteille de vin lors d’un repas, évitant élégamment de tâcher les nappes et mettant en valeur le vin de votre hôte.

D’après notre lecteur, sous cet objet sont gravés les mots ‘Leuconide’ et ‘geschützt’ pour ‘breveté’. Ces inscriptions nous indiquent que ce dessous de bouteille, modèle créé autour de 1880, est un travail de la maison allemande Leuconide, spécialisée dans la production d’objets en étain. Fondée en 1844 par la famille Kayser et installée en Rhénanie, les marques Leuconide et Kaiser Sohn se rencontrent jusqu’en 1906, date à partir de laquelle la production décline jusqu’à sa faillite en 1940. Ces objets en étain suivront pendant près d’un siècle les modes et les influences. Des néo-gothique et néo-Renaissance au Jugendstil, Art Nouveau d’outre-rhin, les étains Leuconide continueront d’être sur les tables. La famille Kaiser produira des objets pour les arts de la table d’une grande qualité, aux décors et designs laissés aux mains d’artistes allemands, perpétuant ainsi la tradition germanique du travail de l’étain.

En effet, connue depuis la Haute Antiquité, l’étain est certainement le premier métal exploité par l’homme. Situé à faible profondeur et étant fusible à 232°C, l’extraction et le travail en sont aisés. Nécessaire pour la fabrication du bronze : cuivre et étain, les Phocéens allaient jusqu’en Inde pour l’approvisionnement de l’étain. Ils découvrirent les mines d’Espagne puis d’Angleterre en Cornouaille, aux îles Scilly. Tous les pays d’Europe ont eu leurs modes notamment la France et l’Allemagne. L’étain est toujours utilisé sous son aspect brillant. D’ailleurs une glace sans tain n’utilise pas l’amalgame de mercure et d’étain, permettant la réflexion des miroirs. Il est parfois argenté et souvent brossé comme devait l’être notre dessous de bouteille au XIXème siècle !

Imitant les formes de l’argenterie dès le Moyen-âge, c’est au XVIIème et XVIIIème siècles que l’étain connaît son apogée.Lorsqu’en1689 et 1709, Louis XIV demande à tous ses sujets de faire fondre leur vaisselle d’argent, l’orfèvrerie d’étain remplace l’argent massif et vient alors orner les vaisseliers de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie française.Au XIXème siècle, délaissé en faveur de la « l’argenture » par galvanisation sur métaux moins noble, le métal argenté supplante l’étain. L’Allemagne ayant plus de minerais que la France, les productions de qualité de la manufacture rhénane continuent de se développer. Les styles Art Nouveau et Art Déco utiliseront encore l’étain pour la création d’objets d’art de la table.

De nos jours, l’étain n’a plus la cote. Seuls les très vieux étains trouvent grâce aux yeux des collectionneurs. Cependant, cet objet de fabrication allemande du XIXème siècle, devrait trouver amateur autour de cinquante euros en vente publique. De plus, avec 9,4 cm de hauteur et 8,7 cm de diamètre, notre objet correspond parfaitement aux bouteilles de vin français. Alors servez-vous-en ! Il décorera votre table. Vos invités seront sensibles à l’attention que vous porterez au vin, coteaux du vendômois ou non, que vous leur offrez !