"Tea time !" en métal argen-thé
Samedi 19 juin 2010
Les poinçons apposés sur les pièces d’orfèvrerie nous renseignent sur la nature du métal : or, argent ou… métal argenté. Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, lève le voile sur la pointilleuse question des poinçons d’argenterie.
Classique cadeau de mariage, le service à thé se compose généralement d’une théière, d’une cafetière pour les amateurs de moka, d’un pot à lait et d’un sucrier. Notre service ne déroge pas à la règle. Ces quatre pièces sont de forme néo-classique, leur ornementation rappelle le style en vogue sous le règne du roi Louis XVI. Des guirlandes fleuries sur la panse et des pieds feuillagés répondent à une anse géométrique cannelée recouverte de rubans et de feuilles d’acanthes. Le fretel, qui permet de soulever le couvercle des deux verseuses (théière et cafetière), imite un bouton de fleur ou une pomme de pin. Mais attention, l’aspect brillant du métal blanc qui compose notre service nous rappelle que l’adage : « tout ce qui brille n’est pas de l’or » vaut aussi pour l’argent !
Pour de telles pièces, l’orfèvre part soit d’un lingot métallique, soit d’une feuille de métal qu’il martèle et façonne avec ses outils. L’exposition consacrée en 2007 par le musée de Blois à « Goudji, le magicien d’or » montrait l’intimité de l’atelier d’un l’orfèvre au travail. Ce service est de qualité industrielle avec des éléments non pas façonnés à la main, mais moulés, comme les pieds. Indépendamment de la qualité du travail et de la ligne de l’objet, la qualité du métal utilisé est essentielle pour estimer ces objets. Si ce service était en or, à 32.000 € le lingot (un kilo), sa valeur serait de plusieurs milliers d’euros. Le lingot d’argent pèse aussi un kilo mais ne côte « que » 480 €. Le métal argenté se compose essentiellement de cuivre recouvert d’une fine pellicule d’argent. À 5 € le kilo, le cuivre se vend à la tonne : la valeur du métal argenté n’a donc rien à voir avec celle de l’argent massif ou de l’or ! Une fois terminée, la théière est marquée d’un poinçon qu’on appose dans la couche de métal. Ce poinçon permet de déterminer le nom du fabriquant et la qualité du métal utilisé. Pour l’or, il s’agit d’une tête d’aigle et pour l’argent d’une tête de femme appelée Minerve dans un octogone ; pour le métal argenté le poinçon est carré avec les initiales ou le nom du fabriquant. La description que nous fait la lectrice des poinçons détermine immédiatement le métal argenté. Les lettres R et M sont probablement celle de l’orfèvre lyonnais Roux-Marquiand : une maison fondée en 1856 et toujours en activité. Les chiffres 12, 18, 24 et 20 à côté du poinçon indiquent l’épaisseur en micron de la couche d’argent (millionième de mètre). Soit 0,024 millimètres pour la couche d’argent la plus épaisse : un peu mince pour être de qualité, et conserver le brillant de l’argent très longtemps.
Ce service a donc une valeur limitée par son intérêt, puisqu’il ne s’agit pas d’une création originale comme celles de Goudji, mais d’un modèle de style produit en grande série depuis 150 ans. Sa valeur est aussi limitée par sa qualité, puisque la quantité/épaisseur d’argent est très faible. Enfin, les jeunes épouses vous diront qu’elles goutent peu la joie de faire briller leur service à thé à la pierre d’argent. Aux fines tasses en porcelaine de Limoges elles préfèrent d’ailleurs souvent les gros mugs anglais en céramique. Les temps changent, la mode également… Aussi, comptez de 80 à 100 € en vente aux enchères pour ce service à thé en métal argenté. Peut-être est-il préférable de convier vos ami(e)s chez vous un après-midi à partir de cinq heures, et de leur proposer une tasse de thé dans votre service argenté en leur annonçant comme nos voisins anglais : « Tea Time !»