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Un mortier et son pilon, jouons au petit alchimiste !

Samedi 12 juin 2010

Cette semaine, Bruno nous envoie la photographie d’un mortier qu’il a « trouvé sur une brocante dans les années 1980 ». Il aimerait en connaître l’époque ainsi que le prix. Maître Philippe Rouillac, commissaire-priseur à Vendôme, lui répond.

Cette semaine, Bruno nous envoie la photographie d’un mortier qu’il a « trouvé sur une brocante dans les années 1980 ». Il aimerait en connaître l’époque ainsi que le prix. Maître Philippe Rouillac, commissaire-priseur à Vendôme, lui répond.

En bois, pierre, porcelaine, métal ou verre, le mortier permet de broyer des matières que l'on veut transformer en pâte ou en poudre grâce à l'action d'un pilon. Le nôtre est à rebord en encorbellement, il est en bronze et ses flancs sont à décor de sirène à double queue. Il semble ancien, XVIème ou XVIIème siècle, et sa fonction peut être multiple. L’origine du mortier est préhistorique. Les plus vieux datent de la période de transition entre le Paléolithique et le Néolithique, de 16 000 à 8 500 av. J.-C., au moment où apparut l’agriculture utilisant la récolte du grain par les populations devenues sédentaires. Plus tard, il deviendra l’outil domestique nécessaire pour broyer en fines poudres ou pâtes des matières minérales, utile aussi bien en médecine, en cuisine, qu’en peinture ! Et c’est un objet utilisé dans presque toutes les civilisations. Quelle histoire pour un objet si simple !

Les centres de productions des mortiers en bronze sont répartis dans toute l’Europe. En France, c’est la ville du Puy-en-Velay qui domine en qualité les mortiers. Le rebord à encorbellement du nôtre l’inscrit dans les productions françaises mais ne permet pas de l’attribuer à une production locale plus précise. Utilisé en pharmacie pour concocter des poudres et remèdes, il est très utile pour les apothicaires en permet de faire une poudre fine, c’est aussi le creuset dans lequel les scientifiques cherchent et mélangent. Ustensile nécessaire de nos cuisines, il permet la préparation de spécialités gastronomiques notamment du sud de la France. Quant aux artistes, ils s’en servent depuis des siècles pour élaborer leurs couleurs : broyer des brous de noix pour faire de l’encre,du charbon de bois pour les noirs, de l’argile pour les ocres, du lapis-lazuli pour les bleus. L’homme de Lascaux en avait-il déjà un pour broyer ses couleurs et décorer sa grotte ? Sans doute avait-il l’ancêtre du mortier, en pierre et bien différent de celui du père Tanguy, broyeur et marchand de couleurs des Van Gogh, Renoir et Pissarro à la fin du XIXème. Imaginons qu’un artiste ait broyé ses couleurs dans notre mortier, de quelle toile ou fresque a-t-il vu la création !

Son décor de sirène à double queue, appelée parfois Mélusine, se retrouve dans l’iconographie occidentale depuis la Grèce Antique. Elle symbolise le lien entre les mondes naturels et les hommes, entre humanité et surnaturel. Fascinante car inaccessible pour l’homme, elle sera le assimilée à la luxure et à la force parla religion chrétienne. Dès lors notre mortier décoré de ce fort symbole,semble plus l’outil de travail d’un scientifique, d’un pharmacien préparant des poudres ou onguents. Sans doute s’agit-il de celui d’un alchimiste, tentant désespérément de faire le lien du réel et de la magie ?

Ainsi, notre mortier à la sirène est un objet à la fonction multiple et riche en symboles. On peut le dater des XVIème ou XVIIème siècles sous réserve de prise en main. En vente publique, il faut compter autour de deux cent euros en bon état et après expertise pour ce mortier en bronze car ce genre d’objet a pu être copié plus tardivement. Pourquoi ne pas le garder ou l’offrir, il est toujours en état de fonctionnement et la pierre philosophale n’est toujours pas découverte !

Suite au courrier de Nicole Nicko, au sujet du précédent article (NR du 5 juin 2010) sur un vase en verre, quelques précisions nous sont apportées. Le verbe juste concernant l’action de prélever le verre dans le creuset est « cueiller » et non pas « cueillir »,nous le reconnaissons bien volontiers ; également, il n’est pas« modelé à chaud » mais travaillé à chaud. De plus, le vase en question, non signé, nous est confirmé d’être bien de Legras. Il est répertorié, en paire, sous le numéro 259 et sous le nom « vase Belgrade ». Nous remercions notre chère lectrice pour sa fidélité et ses précisions !
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