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Un brûle parfum en bronze chinois

Samedi 03 avril 2010

Sa grand-mère et sa mère y tenait beaucoup. Pourtant aucune n'a su dévoiler l'origine de cet objet à notre lectrice blésoise qui veut en savoir plus. Le commissaire-priseur Philippe Rouillac explique.

Sa grand-mère et sa mère y tenait beaucoup. Pourtant aucune n'a su dévoiler l'origine de cet objet à notre lectrice blésoise qui veut en savoir plus. Le commissaire-priseur Philippe Rouillac explique.

L'objet qui nous est soumis par notre lectrice est un brûle-parfum d'origine chinoise. Souvent confondu avec le pot-pourri en France, le brûle parfum diffuse un savant ménage de fleurs se consumant dans son ventre. Le notre est en bronze : un alliage de cuivre et d'étain qui fonce à l'air. De forme circulaire, il repose sur trois pieds qui semblent comme crachés de la gueule de dragons. Deux chiens de Fô, animal magique chinois, servent de prises de part et d'autre de la vasque où brûle le parfum. Le plateau est finement incrusté de motifs géométrique en métal clair, et de feuilles légères comme des papillons. On trouve avec cet assortiment de monstre effrayants et de motifs légers la synthèse de la philosophie chinoise : l'équilibre du Ying et du Yang. L'objet est de dimensions modestes, pour poser sur une table. La Chine a produit de nombreux brûle parfum de ce genre avec des incrustations de métal. Un d'eux datant du XVe siècle est même conservé à Paris au musée Cernuschi. Pour déterminer la valeur de cet objet il est indispensable de le dater, et de chercher sa provenance. Autrement dit à quel moment et pourquoi a t-il quitté la Chine pour arriver en France ? S'il est arrivé dans les années 1860, il pourrait être un objet très précieux.

La guerre de l'opium fait en effet rage en Chine en 1860. Français et Anglais se sont alliés pour ouvrir la Chine au commerce occidental, et notamment à l'opium produit à cette époque par les Britanniques en Inde ! Pour intimider l'empereur de Chine, les troupes européennes pillent et incendient son "palais d'Été " : l'équivalent du "Versailles chinois". Quand la nouvelle se répand, l'indignation est générale en Europe. Victor Hugo qui écrit à ce sujet : " Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s'appelait le palais d'Été. (...) Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d'Été. (...) L'un a pillé, l'autre a incendié. Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. (...) J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs." Vous comprenez maintenant l'importance d'identifier la provenance des objets chinois. Ceux venant du sac du palais d'Été connaissent régulièrement des prix fous sur le marché de l'art. Les riches Chinois rachètent au prix fort leurs trésors nationaux éparpillés en Europe. Un brûle parfum en jade s'est ainsi vendu 590.000 € à Cheverny en 2004 : il provenait de la chambre personnelle de l'Impératrice, et a depuis été offert par la France à la Chine en signe d'amitié !

Qu'en est-il alors de ce brûle-parfum : impérial ou pas ? Notre lectrice ne nous annonce pas être une descendante d'un soldat ayant participé au sac du palais d'été... Dommage ! Quid alors de la marque gravée sous le bronze ? Il ne s'agit malheureusement pas de la marque des productions impériales, mais d'une fabrique chinoise en activité à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, qui travaillait pour l'exportation. Les merveilles rapportées d'Orient par des marchands et des explorateurs sont souvent des "souvenirs touristiques", ou de faible qualité. Aussi, ce bronze est à l'art des brûle-parfums ce qu'un tee-shirt fabriqué à Pékin aujourd'hui est à la Haute couture : une pâle copie à moindre prix. L'estimation tourne en conséquence autour d'une cinquantaine d'euros. Rien ne vous interdit cependant de prolonger le dépaysement né de la lecture de cet article en recomposant chez vous l'ambiance raffinée de la cour impériale... Placez-y des pétales de roses de Chine, leur douce odeur vous rappellera ces vers de Baudelaire : "Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe calme et volupté" !
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