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DIMANCHE A CHEVERNY, L'AMITIE FRANCO-AMERICAINE SERA MISE AUX ENCHERES

Samedi 08 juin 2002

Le Monde, La Une, Harry Bellet


LORS de la récente visite du président Bush à Paris, certains membres du corps diplomatique américain ont pu constater que le problème des « personnes disparues » ne concernait pas que les seuls prisonniers du Vietnam. La France retient en effet, mais de son plein gré, George Washington lui-même. Ou plutôt son portrait, peint en 1792 par Charles Wilson Peale (notre photo), et offert, selon une tradition familiale, par le héros de l’Indépendance américaine à un Frenchie, Jean-Baptiste Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau (1725-1807). 

Le maréchal Rochambeau n’est alors que général. La France, qui a signé un traité d’alliance avec les tout jeunes Etats-Unis d’Amérique le 6 février 1778, et dont plusieurs ressortissants ont, comme La Fayette, pris les armes à titre individuel depuis plus longtemps encore pour bouter l’Anglais hors de Virginie, dépêche un corps expéditionnaire de 6000 hommes durant l’été 1780. A leur tête, Rochambeau. La Fayette le présente à Washington. Les deux hommes s’apprécient, et montent à l’assaut des forteresses du général anglais Cornwallis. Ce dernier capitule le 19 octobre 1781, et rend les places de Yorktown et de Gloucester.

Un tournant dans la guerre d’Indépendance, qui prend fin l’année suivante. Washington et le Congrès américain offrent à Rochambeau, en signe de reconnaissance, deux canons pris à Yorktown. Il reçoit en outre de George Washington une lettre dans laquelle celui qui deviendra le premier président des Etats-Unis rend hommage à sa valeur miltaire et ajoute : « Mon cœur souffrirait cruellement si,à ce témoignage rendu à votre conduite publique, je n’ajoutais combien j’ai trouvé de bonheur dans votreamitié, dont le souvenir sera un des plus agréables de mavie.» Nanti de ce viatique, de ses canons et de son tableau, Rochambeau rentre en France. Il y meurt en1807,et le portrait de son ami est ensuite pieusement conservé par ses héritiers.

Si George W. Bush en personne n’a pas croisé George Washington lors de son séjour parisien, son épouse est venue voir le tableau rue de Miromesnil, chez l’expert René Millet. Nombreux sont les Américains à avoir manifesté leur intérêt pour la toile, qui sera vendue aux enchères le 9 juin, à 14h30, par Me Rouillac au château de Cheverny. Les Musées de France, peu riches en œuvres de Charles Wilson Peale, l’auraient bien retenu pour leurs cimaises, mais, dans le contexte actuel, c’eût été de la dernière goujaterie. Le tableau est donc libre de sortir du territoire et pourrait retrouver sa terre natale où de nombreux musées sont prêts à s’entretuer pour accrocher chez eux le général-président. Prudent, Me Rouillac se refuse à en donner une estimation. René Millet est plus disert : «J’ai dit, au pif,1million d’euros. Mais en fait, je n’en sais rien. C’est la première fois de ma vie que je vends George Washington.»

Harry Bellet
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