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Alys au pays de satyres

Samedi 13 mars 2010

Cette semaine, l'oeil averti de notre commissaire-priseur, Aymeric Rouillac, s'est penché sur une sculpture qui est probablement une allégorie du théâtre.

Cette semaine, l'oeil averti de notre commissaire-priseur, Aymeric Rouillac, s'est penché sur une sculpture qui est probablement une allégorie du théâtre.

Une lectrice de La Chapelle Saint-Martin nous envoie un curieux objet, représentant une jeune fille souriant face à un masque grimaçant. Elle nous précise : « Cette statuette de marbre blanc a été offert à mes parents pour leur mariage en 1945 ». Aymeric Rouillac, commissaire-priseur, nous éclaire sur cette figure allégorique…

Le trésor qui nous est soumis cette semaine est une sculpture représentant une jeune enfant tendrement accoudée, pour écrire sur un lourd livre de marbre. Emportée par l’inspiration, la bretelle gauche de sa robe glisse sur son épaule, alors qu’un sourire énigmatique illumine son visage. Mais, la douceur du sourire de l’enfant tranche avec la grimace du satyre barbichu sculpté en bas relief à ses pieds. Ce masque de satyre nous indique que cette sculpture est probablement une allégorie du théâtre, et au sein du théâtre du genre de la tragédie satyrique.

Les Grecs de l’Antiquité ont été les premiers à élever le théâtre au rang des arts majeurs. Les ruines qui peuplent le pourtour de la Mer Méditerranée en témoignent. Le théâtre à cette époque navigue entre comédie et tragédie. Si l’on partage facilement les rires d’une comédie, on ignore souvent que le mot tragédie signifie, lui, « le chant du bouc ». Ce chant rappelle la plainte de l’animal qui était sacrifié avant la représentation, donnant à la pièce un caractère sacré. La pièce satyrique se situe à mi chemin entre la comédie et la tragédie. Le drame satyrique est joué très subtilement, afin de donner à l’aspect tragique une sorte de ridicule qui ôte tout sérieux au drame. Il réunit plusieurs personnages au caractère exagéré et des créatures souvent répertoriées comme des monstres. Ces monstres, ou satyres comme celui représenté sur la statue, donnent leur nom au genre satyrique. Le sourire de l’enfant tourne ici en dérision la frayeur que peut inspirer le satyre. L’enfant rit-il du livre qu’il annote, ou est-il entrain de composer une petite pièce ? Il y a certainement des mots gravés sur les pages du livre… qui pourraient nous donner la clé de la scène !

Cette sculpture est en marbre : matériau précieux s’il en est. On remarque grâce à de petites imperfections de proportion, dans le visage notamment, que cette sculpture a été taillée directement dans un bloc de pierre. Au XIXe siècle les sculpteurs modèlent généralement leur sujet dans de l’argile, améliorant ainsi la perfection de leur sujet. Puis ils confient l’œuvre originale en argile à un tailleur de pierre. Le tailleur reproduit à l’identique le modèle d’argile, à l’aide d’un appareil de mesure appelé pantographe. Les statues de marbre sont donc généralement sans défaut. Rares étaient les sculpteurs comme notre artiste qui osaient tailler directement dans le marbre sans modèle d’argile. Ils craignaient de gâter un matériau noble et coûteux. Celui-ci l’a fait : ce qui signifie qu’il s’agit d’un artiste sûr de son talent. Mais son geste parfois gauche trahit un excès de confiance en soi. À moins qu’il ne s’agisse d’une épreuve d’un jeune élève des Beaux Arts, reproduisant une sculpture d’un maître oublié ?

L’artiste a réalisé cette œuvre dans le premier quart du XXème. La nuisette de l’enfant et le traitement des cheveux sans anglaise le laissent supposer, tout comme la pose maniérée qui cherche à renouveler la sculpture antique…sans forcément y parvenir. Cette sculpture est signée quelque part, car il ne s’agit pas de l’œuvre d’un « artiste du dimanche ». Recherchez là sur le livre, qui sait - ou derrière le socle ? Les belles proportions de cette sculpture de 36 cm de haut laissent espérer une estimation de 200 à 400 € aux enchères, sous réserve que le marbre ne soit pas accidenté. Il s’agissait déjà d’un beau cadeau de mariage en 1945 ! Puisque le lecteur apprécie sa sculpture, laissons-nous bercer avec lui par le sourire de cette petite fille, qui comme « Alice, ou Alys, au pays des merveilles » découvre un monde enchanté où la meilleure réponse face à l’absurde au bizarre et aux monstres reste le rire, l’innocence et le rêve…Merveilleuse Alys !
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