« La limite ? c’est notre propre morale et la loi » : en Touraine, les commissaires-priseurs doivent-ils tout vendre
Jeudi 03 juillet 2025
La Nouvelle République, Pascaline Mesnage

« C’est idiot, il fallait virer ces objets », a reconnu Bertrand Jabot, le commissaire-priseur après l’émoi suscité par la mise en vente de ces objets nazis. Ce n’est pas lui qui a organisé cette vente mais son confrère Meriadec Dehen. « C’est une erreur de jeunesse, excuse le professionnel installé en Touraine depuis trente ans, à Tours et à Joué-lès-Tours depuis 2024. On n’est pas là pour provoquer des gens. »
En mai dernier, une vente similaire à Orléans (Loiret) avait également irrité Christophe Chaillou, sénateur PS du Loiret. Le groupe CRCE (communiste) a d’ailleurs déposé une proposition de loi pour « sanctionner la vente d’objets liés au nazisme ».
Interdiction de vendre des espèces protégées
Quelle ligne rouge se fixent les commissaires-priseurs installés en Touraine ? « La limite, c’est notre propre morale et la loi », répond sans détour Christophe Herbelin, commissaire-priseur à Chinon. Lui ne vend pas d’objets militaires, « je vends surtout ce que j’aime, des biens culturels ». Par le passé, il lui est arrivé de refuser de mettre en vendre des pieds d’éléphants montés en corbeille. « C’était avant l’interdiction de la vente d’ivoire mais je n’ai pas voulu car je trouvais ça répugnant. » L’origine d’un bien pourrait aussi le pousser à refuser une vente, « s’il y a des choses litigieuses ».L’exercice du métier n’est pas évident, rappelle Christophe Herbelin. « Un commissaire-priseur doit maîtriser tous les textes de loi. » Les salles des ventes ne peuvent pas présenter des espèces protégées, des restes humains, des armes de guerre… « Avec l’expérience, on est de plus en plus prudent », avance le professionnel qui garde en tête un épisode malheureux. « Il y a une dizaine d’années, on m’a dénoncé au procureur de Tours en disant que je vendais des éléments de corps humains. » Sa vente de reliquaires n’avait rien d’illégale, « mais on est confronté parfois à des personnes qui veulent se substituer au cadre légal. »
Donner les biens à des musées
Chez les Rouillac, Philippe et son fils Aymeric ne partagent pas tout à fait le même point de vue. La vente aux enchères d’objets nazis ne fait pas bondir Aymeric Rouillac. « On ne doit pas effacer toute une part de notre histoire mais il faut faire preuve de pédagogie », assure le commissaire-priseur. Pourtant, à la maison Rouillac, « on préfère vendre le scooter de François Hollande. »Au début des années 2010, le fils d’un officier français est venu voir Philippe Rouillac. « Il portait une valise en cuir aux initiales d’Adolf Hitler ; quand je l’ai ouverte, je suis resté bouche bée. » Celle-ci contenait une casquette d’Adolf Hitler. « J’ai refusé de la vendre, j’ai des principes avec lesquels je ne transige pas. » En 42 ans de pratique, le commissaire-priseur n’a jamais vendu d’objet nazi. « Ce n’est pas compatible avec notre éthique et notre réputation. » De la même façon, il refuserait de vendre une tenue de déporté ou un bien ayant appartenu à un tortionnaire, « même si c’est légal ».
Que faire de ces objets alors ? « Il faudrait plutôt les donner aux musées de la Résistance ou de la Déportation, propose Philippe Rouillac. Il ne faut pas vendre son âme pour un plat de lentilles. »