FR
EN

On la trouvait plutôt jolie Lili

Samedi 18 juillet 2009

Deux statues africaines qui ont influencé les peintres cubistes

Deux statues africaines qui ont influencé les peintres cubistes

La chanson très engagée de Pierre Perret est particulièrement adaptée pour décrire ces deux statues africaines. Elles ne proviennent probablement pas des Somalis comme Lili, mais du Cameroun, comme une paire de défenses royales présentées dans une édition précédente. Si notre œil n’est pas habitué à l’art africain, il peut se laisser décontenancer ou avoir du mal à les « trouver plutôt jolies ». Et pourtant…

Ces deux personnages mesurent environ un mètre cinquante de haut et sont sculptés en ronde bosse, dans la masse du bois. L’homme et la femme sont dressés sur leurs jambes et vêtus d’un simple pagne. Les visages sont scarifiés, c'est-à-dire que la peau est incisée de motifs rituels, tout comme les seins de la femme. On devine à l’arrière des têtes une coiffure soignée. Les visages sont composés de formes géométriques, un nez triangulaire, deux grands yeux écarquillés, des pommettes saillantes et des petites oreilles rondes. Ces personnages étaient symboliquement disposés à l’arrière des trônes du royaume Bamoun, pour « servir » le monarque. La femme présente des offrandes dans un panier tressé et une calebasse, l’homme met ses armes de chasseur au service de son roi.

L’art africain rapporté en Europe par les colonisateurs a été une des principales sources d’inspiration des artistes travaillant au début du XXe siècle. On appelle alors cet art « l’art nègre » ou « l’art premier ». Pablo Picasso peint en 1907 à Paris le premier tableau cubiste appelé « Les demoiselles d’Avignon ». Il s’inspire des formes géométriques des masques africains chinés aux puces. Son objectif n’est plus de peindre la réalité exacte d’un visage à la manière de Michel Ange, mais d’assembler des éléments symboliques d’une figure qu’il faut ensuite reconstituer mentalement. Le cubisme, tout comme l’art gothique au Moyen-Age ou l’art africain est un art de symboles articulés grâce à des clés de lectures. Lorsque l’Allemagne colonise l’actuel Cameroun en 1884, le choc culturel est immense. Un groupe d’artistes constitué en 1905 à Dresde et appelé « Die Brucke » visite régulièrement le Musée ethnographique. Ils apprécient les œuvres d’art camerounaises : en particulier la spontanéité, les couleurs vives et la géométrisation symboliques des formes propre à la sculpture Bamoun. Le grand peintre Kandinsky, qui deviendra le premier peintre abstrait, publie à cette même époque à Munich un almanach, appelé « Der Blaue Reiter », où sont reproduites des sculptures Bamoun. Ainsi ces statues qui pouvaient nous sembler d’un âge lointain voir « premier » sont en réalité l’une des sources de l’art moderne !

Ces deux statues auraient pu avoir leur place dans la très belle exposition du musée de Zurich en 2008 qui montrait l’influence de l’art Bamoun sur les artistes allemands de « Die Brucke ». Cependant leur valeur marchande ne dépend pas de leur fécondité sur l’art moderne, mais de leurs qualités d’authenticité. Un examen approfondi à l’hôtel des ventes de Vendôme permettrait de confirmer leur valeur, qui pourrait dépasser plusieurs milliers d’euros, si elles étaient anciennes. L’art premier caracole en tête des résultats des ventes aux enchères avec l’art moderne… et le dépasse parfois. « Plutôt joli » ou pas, l’Art ne doit pas toujours être Moderne pour arriver Premier !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :