FR
EN

Des vases toujours fleuris

Samedi 15 octobre 2022 à 07h

par Philippe Rouillac

Cette semaine, Christine, de Cour-sur-Loire, soumet à l’expertise de Philippe Rouillac une paire de vases Art Nouveau signés Legras. L’occasion pour notre commissaire-priseur de nous en dire plus sur la valeur et l’histoire de cet objet.

La fin du XIXe et le début du XXe siècle marquent l’apogée du style Art Nouveau. Pourquoi Art Nouveau ? Car c’est un art de rupture, une « sécession » artistique, une création de toutes pièces, qui, contrairement aux autres styles du XIXe siècle, n’est pas inspiré du passé. Il faut au siècle qui arrive un art à la hauteur de sa modernité. La genèse de ce mouvement, aussi moderne dans son intention que dans sa réalisation, est difficile à définir avec certitude. Toutefois, l’Art Nouveau se répand dans l’Europe entière, de Bruxelles à Barcelone, en passant par Vienne et Paris, ainsi qu’aux États-Unis. Comprenant de nombreuses variantes régionales, l’Art Nouveau se caractérise par la surreprésentation de la nature dans les créations et l’utilisation de matériaux modernes comme l’acier. Les lignes sont généralement assez sinueuses, comme par exemple sur les ornementations des bouches du métropolitain parisien par Hector Guimard, les immeubles de Gaudi ou les célèbres affiches de Mucha. Ces courbes à outrance irritent les détracteurs de l’Art Nouveau qui le surnomment « Art Nouille ». Après la grande Guerre, l’Art Nouveau n’est plus en vogue et son déclin permettra l’émergence d’un art aux formes plus sérieuses, l’Art Déco.

Le domaine de la verrerie Art Nouveau sera dominé en France par quatre grands fabricants : Gallé, Daum, Lalique et Legras, le signataire de notre objet de la semaine. Né dans un petit hameau des Vosges en 1839, Charles-Théodore Legras grandit au milieu des immenses forêts de l’est de la France. C’est cette nature, aussi rude l’hiver que verdoyante aux beaux jours, qui est le socle de son inspiration. Émile Gallé, qui aura une grande influence sur Legras, dira d’ailleurs : « Nos racines sont au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources. » Après une formation en tant que commis dans les réputées verreries de sa région natale, Legras s’installe en région parisienne, à Saint-Denis. Après quelques années en tant qu’employé, il devient directeur de la verrerie et agrandit les ateliers de production, d’où sort une immense variété de créations de verrerie, essentiellement des vases. Les succès ne tardent pas à émailler la carrière de Charles-Théodore Legras, qui est plusieurs fois récompensé par les jurys des grands rendez-vous de l’époque, notamment à Barcelone en 1888 où il obtient la médaille d’or lors de l’exposition internationale. Reconnaissance supplémentaire, Legras sera nommé responsable des sections verrerie et cristallerie à l’exposition universelle de Paris en 1900.

La paire de vases de Christine est assez typique de la production de Legras. En pâte de verre gravée à l’acide qui leur donne cet aspect opaque, ces vases de forme balustre présentent un col mouvementé à la manière d’une corolle. De couleur rosée ou orangée, ils présentent un décor floral de bignones fleuries et ont probablement été réalisés au tout début du XXe siècle. Toutefois, Christine, vous avez oublié de nous préciser leur taille, détail important pour en estimer la valeur ! Ils semblent en très bon état et sont signés, ce qui est un bon point car de nombreuses inspirations et imitations existent. Si les vases originaux de Legras ne sont pas rares et ce modèle est assez classique, les créations de Legras connaissent toujours un certain succès auprès des amateurs. C’est pourquoi nos vases pourraient trouver preneur aux alentours de 150 €. Il faudra malheureusement attendre encore quelques mois pour les garnir de fleurs printanières, mais Legras c’est la vie !
Inscrivez-vous à notre newsletter :
Suivez-nous :