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IN MEMORIAM GÉRALD LEBRUN

Mardi 16 août 2022

Le prince des transporteurs et le transporteur des princes

Dimanche soir, alors que l'orage éclatait, notre ami Gérald Lebrun a perdu la vie au guidon de sa moto, en parcourant les Vosges avec des amis. Cet homme, que je n'ai jamais vu se mettre en colère, qui arborait toujours le plus doux des sourires, était l'un des piliers du transport de bien des familles, des marchands d'art, salles des ventes et collectionneurs. Sa discrétion légendaire égalait son honnêteté et son appétit pour le travail. Debout au milieu de la nuit pour être à l'aurore aux portes de Paris, il travaillait seul, avec une armée de petites mains et autres relations. Lorsque j'étais étudiant en droit à Assas, nous étions nombreux parmi mes camarades à lui servir de bras pour financer qui ses vacances, qui ses études, ou moi une bague de fiançailles. Fidèle, il était venu avec une corvette décapotable rouge de 1963 fêter notre mariage avec Cécile en Auvergne.

Peu de choses lui semblaient impossibles. Il pouvait aussi bien livrer un piano pour un concert à l'autre bout de la France, que déménager en deux jours l'entier contenu d'un hôtel particulier clou à clou dans le 16e arrondissement. Combien de tableaux de grand prix, de meubles en délicate marqueterie, d'écrins de bijoux, de ménagères en argent aux armoiries les plus prestigieuses a-t-il protégé dans son garde-meubles ou transporté dans son camion blanc, que rien ne distinguait du véhicule d'un modeste artisan ? Il carburait au coca-cola, dormait peu mais pouvait s'effondrer, pour récupérer, une fois arrivé à destination après plusieurs jours de route, comme début juillet lorsque nous étions à Menton enlever les archives d'un maître du polar.

Il avait débuté dans le métier avec Papa, alors que, salarié du fabricant La Moto Française, il l'avait aidé à préparer la vente de l'entreprise. Le métier lui avait plu et il y était resté, se faisant une solide réputation d'indépendant, de celle dont on donne le numéro à ses amis en toute confiance. Appréciant tant les grosses cylindrées américaines que les lieux d'exception pour lesquels il était amené à travailler, il lui arrivait d'accepter en remerciement de passer une semaine dans un chalet à Megève ou dans une villa de Marbella, comme un autographe de Picasso.

Cet homme que les gens les plus exigeants tutoyaient avec simplicité aurait préféré se faire découper en rondelles plutôt que de citer par inadvertance le nom d'un de ses clients ou d'identifier le contenu de son camion. Il est de ceux qui a contribué à dorer d'or fin les lettres de noblesse du marché l'art, quand les scandales des transporteurs parisiens les plus réputés le ternissaient à la Une de la presse internationale. Il incarnait le savoir-faire à la française, l'efficacité sans faille de la Province et de ce Val de Loire qui l'avait vu naître il y a presque 62 ans.

Chaque année, alors que s'approchait notre vente Garden Party en juin, le ballet de son camion reprenait pour nous avec vigueur, allant chercher chez les experts, les restaurateurs ou les collectionneurs les meubles que nous mettons en scène. Il était là le premier avec Lili pour accrocher les tapisseries, s'assurer du bon équilibre du marbre d'une commode avec William, refixer le vernis du cadre d'un tableau avec un stagiaire commissaire-priseur ou s'assurer que l'alimentation des ordinateurs était en ordre de marche pour Maman et Karine. Il lui était même arrivé de coucher au milieu de l'Orangerie du château de Cheverny, sur un matelas, avec son chien, pour assurer le gardiennage de nos trésors : panneau de Cranach, coffre de Mazarin, toile de Vlaminck ou de Monet...

Cette année, pour la première fois, il ne nous avait pas accompagné présenter les objets lors de la vente, occupé par un autre chantier. Il me manquait déjà et je ne le savais pas.

Mes pensées vont pour ses parents, sa compagne, ses frères, leurs familles, et tous ceux qui, de Vendôme jusqu'au fin fond de l'Europe pleureront en apprenant la nouvelle de sa disparition. Une cérémonie d'A Dieu est organisée lundi 22 août à 10h en l'église de la Madeleine à Vendôme.

Gérald était un homme de bonne volonté, l'un de ceux qui, après leur vie sur Terre, mérite justement le repos éternel.

Aymeric Rouillac
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