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Philippe Rouillac, « magicien » avant d’être commissaire-priseur

Samedi 30 juillet 2022

La Nouvelle République, Antoine Richard

Le Vendômois a fait de son métier un art et un savoir-faire où les émotions sont reines, bien plus que l’argent.

Il aurait pu être diplomate, journaliste, critique d’art ou conférencier. Pourtant, Philippe Rouillac n’est rien de tout ça et un peu tout à la fois. « Vendeur de rêves », pour certains, magicien, pour d’autres, c’est à Vendôme que le commissaire-priseur exerce son activité. « J’étais parti pour être diplomate en Chine, mais mon beau-père m’a rappelé que c’était loin et que mes compétences seraient mieux mises à profit dans les ventes aux enchères. Un métier qu’il connaissait bien puisqu’il était lui-même commissaire-priseur. » Une rencontre déterminante qui l’a poussé à ne jamais quitter Vendôme, « au nom grave et sonore » comme il aime le dire. Un nom qui n’est pas sans rappeler celui de la place Vendôme à Paris, ce qui a pesé dans le choix de Philippe Rouillac de rester, tout comme la proximité d’une ligne TGV.

Installé depuis 1983, Philippe Rouillac n’a jamais quitté son « bungalow », hôtel des ventes en pleine zone industrielle où les objets prennent vie les uns à côté des autres, entassés dans un musée éphémère toujours en mouvement. « Certains ont voulu nous acheter, mais j’ai toujours décliné les offres pour rester une entreprise familiale. On ne laisse jamais une personne sans réponse dans les deux heures », affirme le commissaire-priseur, qui peut compter sur une équipe de quatre permanents autour de lui et de son fils, Aymeric, qui l’a rejoint en 2010.

Quelle place pour l’argent ?

À eux deux, ils totalisent treize enchères millionnaires dont le coffre de Mazarin, acquis par le Rijksmuseum d’Amsterdam pour la somme de 7,311 millions d’euros, un portrait de Georges Washington peint par Charles Wilson Peale vendu 5.189.360 euros en 2002 ou bien, la dernière en date, des panthères Bugatti parties pour 1.364.000 euros, en 2019. « On a vendu des objets à des prix fous, uniquement car on n’a pas parlé d’argent, mais on a donné du rêve. Une vente, c’est 30 % l’objet, 30 % une histoire et 20 % de savoir-faire. Là où je suis satisfait, c’est quand un vendeur vient me voir, non pas pour me féliciter du prix de vente, mais d’avoir découvert l’histoire de son objet. On est là pour transmettre des émotions. » Ancien grand reporter de La Nouvelle République, Jean Chédaille parlait dans les années 90 de « shows » pour évoquer les ventes des Rouillac. Preuve supplémentaire que l’argent n’a finalement qu’une place secondaire dans l’esprit du commissaire-priseur, les livres de ses ventes au château d’Artigny, pourtant longs de 200 pages, ne mentionnent aucune somme d’argent pour les objets mis en vente.

De château en château

Et c’est d’ailleurs, dans ce lieu, et surtout dans le château de Cheverny auparavant, qu’il a en grande partie construit sa renommée. Là encore à la suite d’une rencontre déterminante. « C’est Sue de Brantes, qui était une ancienne journaliste et gestionnaire du château d’Authon, qui m’a demandé pourquoi je n’organisais pas des ventes dans des propriétés privées ? Ce à quoi je lui ai répondu que ça ne tenait qu’à elle. L’année suivante, les Sigalas nous ouvraient les portes de Cheverny, en 1989. » Les Rouillac y ont organisé leur dernière garden-party en 2014 avant d’enchaîner l’année suivante avec le château d’Artigny, où ils ont organisé leur 34e vente de ce type cette année. Même son cancer, en 2007, n’a pas empêché Philippe Rouillac d’assister à sa vente annuelle. « Si le corps fléchit, l’esprit non. Cette année-là, il y avait à la vente toute une collection du peintre Alexandre Iacovleff qui me galvanisait depuis mon lit d’hôpital. Ce jour-là, devant les acheteurs, j’ai dit des choses que je n’aurais peut-être pas prononcées autrement et on a réalisé un record mondial pour cet artiste. »
Amoureux de son travail, Philippe Rouillac concède qu’il n’arrêtera que le jour où « ses oreilles ne lui permettront plus d’exercer », lui qui a des difficultés pour entendre, « mais pas pour voir ». À 70 ans, il est désormais dans une logique de transmission avec son fils, lui aussi sur le devant de la scène. « Quand j’étais plus jeune, mes enfants disaient que leur père n’était jamais en vacances et qu’il n’avait pas de montre, ce qui n’a pas vraiment changé. Mais, aujourd’hui, on a six marteaux de commissaires-priseurs dans la famille dont Aymeric. Lui, il grandit pendant que moi je diminue. »

« On ne peut pas être commissaire- priseur sans être acteur culturel »

S’il conserve la part de « magicien » et de « vendeur de rêve » de son père, le fils Rouillac se détache par sa volonté de mettre en avant l’art contemporain, notamment à Tours, tandis que Philippe Rouillac s’est battu toute sa vie pour le patrimoine, notamment celui de Vendôme. « J’ai été président de la Scoiété archéologique du Vendômois puis de celle de Touraine. Même si personne n’y croyait, je me suis battu pour sauver le Grand Manège Rochambeau, à Vendôme, qui aurait pu être détruit et qui accueille aujourd’hui des expositions. J’estime qu’on ne peut pas être commissaire-priseur sans être acteur culturel. »

Un soutien indéfectible

Une prise de position tranchée, comme l’homme, qui a tenté de rendre les enchères attrayantes pour tout le monde, quitte à installer des lits pour bébé dans son bureau pour que les parents puissent suivre les ventes. Dans cette longue carrière, Philippe Rouillac a néanmoins pu compter sur un socle important, solide et toujours à ses côtés : sa femme. « Elle aime les gens, nous les objets. Grâce à ses talents d’entremetteuse et sa psychologie, mon métier en a parfois été facilité. La complicité d’amour de ma femme est la chose la plus précieuse. »

bio express

> Né le 19 novembre 1951, à Hennebont (Morbihan), en Bretagne où il a grandi.
> 1974 : Philippe Rouillac écrit dans le Quotidien de Paris sur la Chine, qu’il vient de visiter. Ses écrits sont vus par André Malraux, qui a été ministre des Affaires culturelles ainsi que de la Radio, de la télévision et de la presse. Celui qui n’était pas encore commissaire-priseur côtoiera André Malraux, en tant qu’assistant dès 1975, jusqu’à la veille de sa mort.
> 1983 : Philippe Rouillac démarre son activité de commissaire-priseur, à Vendôme. Ville qu’il n’a plus jamais quittée.
> 1986-2011 : Il préside la Société archéologique du Vendômois. Durant son mandant, il va notamment œuvrer pour sauver une partie du patrimoine de la ville avec le Grand Manège Rochambeau.
> 1989 : C’est le début des « garden party » au château de Cheverny, jusqu’en 2015. Il les mène aujourd’hui au château d’Artigny, avec son fils Aymeric.
> 1999 : Première enchère millionnaire pour un tableau de Claude Monet, vendu à l’époque pour un peu plus de 15 millions de francs, soit environ 2 millions d’euros.
> 2013 : Les Rouillac réalisent leur plus grosse vente avec l’achat du coffre de Mazarin par le Rijksmuseum à Amsterdam pour la somme de 7.311.000 euros. C’est une des ventes les plus longues du commissaire-priseur puisqu’elle a duré une quinzaine de minutes.
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