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L’Avare a-t-il encore perdu son trésor ?

Samedi 18 juin 2022 à 07h

par Philippe Rouillac

Cette semaine, Didier nous fait parvenir la photo d’un petit coffret dont il aimerait connaître l’histoire. Me Philippe Rouillac, commissaire-priseur, nous donne son avis.

Meuble de rangement de petite taille et facilement transportable, le coffret est un meuble qui semble avoir toujours existé. On s’en sert depuis l’antiquité pour ranger les biens les plus précieux. Plus discret que son grand-frère le coffre, le coffret, parfois appelé « petit cabinet », est un objet plus intime. Son propriétaire peut l’amener lors de ses voyages et surtout il est facile de le cacher ! On peut y stocker des bijoux, pierreries et coquillages… mais également des billets doux ou encore des pièces d’or, comme dans l’Avare de Molière !

Très vite, les créateurs adaptent l’usage du coffret aux goûts de leurs clients. On en trouve de luxueux, plaqués d’écaille de tortue, de plus austères recouvert de cuir, ou encore de plus exubérants au décor de bronze doré ! Votre coffre, Didier, est en bois, d’une vingtaine de centimètres de large et il présente un décor de colonnes stylisées enrichi de six têtes en haut-relief ceintes dans des médaillons. L’ensemble repose sur des pieds en patin à l’allure de griffes de lion ! Une serrure permet probablement de débloquer le plateau. Son décor n’est pas sans rappeler ceux que l’on peut admirer dans les monuments et meubles de la région Centre-Val de Loire. Votre coffret reprend les codes architecturaux de la première Renaissance française ! À l’époque où Jeanne d’Arc termine de bouter les anglais, Jacques Cœur, riche argentier, imagine un fabuleux palais à Bourges. Il commande aux sculpteurs et maîtres maçons de son temps deux portraits en « haut-relief », c’est-à-dire des reliefs très saillants qui ne se détachent toutefois pas du fond. Ces deux sculptures passent pour être les portraits de Jacques Cœur et de son épouse. Situées au-dessus de la porte principale du palais, on peut les admirer aujourd’hui encore à Bourges.

De la même manière, les figures de bois sculpté de votre objet nous évoquent immanquablement l’art à la cour de Charles VI et de Charles VII dont ils sont l’une des caractéristiques stylistiques. Toutefois, la qualité de ces éléments ne permet pas de rattacher ce meuble à ces règnes. Très stylisés, ils sont une « citation » de cet art de la Renaissance. En ouvrant le plateau, il est possible d’étudier le montage de votre coffret. Dans la structure même du meuble, il est rassurant de retrouver des « queues de renard », c’est-à-dire des entailles qui s’emboîtent parfaitement. Or là, il y a fort à parier que le montage se compose d’éléments différents assemblés de manière peu conventionnelle. Probablement, ce meuble aux proportions curieuses est créé partir du décor d’un meuble plus important.

Au XIXe siècle, l’aristocratie se passionne pour le Moyen-Âge et la Renaissance. Victor Hugo écrit « Notre-Dame-de-Paris » et Marie d'Orléans se fait construire un appartement néo-gothique aux Tuileries ! La production est abondante et les réemplois sont fréquents. On retrouve notamment ce genre de décor sculpté dans les belles armoires dites « bourguignonnes » dont on peut admirer un exemple au château de Beauregard à Cellettes dans le Loir-et-Cher. Mais on le retrouve également dans d’importantes cheminées, comme celles de l’hôtel Gaillard à Paris !

Ces meubles fascinent l’imaginaire des auteurs. La Fontaine nous met en garde en rappelant que « l’usage seulement fait la possession », tandis que Molière dresse un portrait cynique de l’homme, en somme un Harpagon à la poursuite de sa cassette ! Pour ce coffret à la manière des productions de la Renaissance, nous pourrions articuler un prix autour de 40 euros… Pas de quoi inquiéter l’Avare… Mais plutôt de quoi s’offrir un billet de train pour Paris et y admirer au Musée du Louvre l’un des coffrets les plus extraordinaires au Monde. Celui dit d’Anne d’Autriche réalisé au XVIIe siècle. Son fabuleux décor constitué d’or massif fondu est assemblé au moyen de clous d’or… rien que ça !
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