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Un obus pour éclairer : créé dans les tranchées

Samedi 02 juillet 2022 à 07h

par Philippe Rouillac

Cette semaine, Cédric soumet à notre expertise « lampe à pétrole ou à huile, assez lourde, avec le symbole RF gravé ». C’est l’occasion pour Philippe Rouillac, notre commissaire-priseur, de revenir sur l’histoire et la valeur de cet objet chargé d’histoire.

La Grande Guerre a déchiré l’Europe de 1914 à 1918. Lors de ces quatre années terribles, l’industrie soutient l’effort de guerre et la production de munitions de tous calibres se fait à une échelle inédite. Les grandes batailles, comme Verdun, voient des millions d’obus tirés en quelques mois. Très tôt dans la guerre, les offensives rapides sont abandonnées au profit d’une tactique défensive et de gagne terrain. Les puissances européennes s’enfoncent dans une longue et meurtrière guerre de tranchées.

Les occupations manquent dans les tranchées, pendant les calmes relatifs entre assauts et les bombardements. Bien des Poilus, pour tromper l’ennui et entretenir leurs mains d’artisans, se tournent vers la confection d’objets divers : briquets, vases, coupe-papiers… De l’horreur et de la proximité de la mort naît un élan artistique inédit. Les millions de tonnes de douilles d’obus en laiton laissées sur les champs de bataille représentent une matière première sans fin et aisément malléable avec les outils du front. C’est ainsi que nait l’artisanat des tranchées, ou « Trench Art » pour les britanniques. D’innombrables objets sont produits, les gouvernements des différents pays belligérants encouragent ces activités en créant des ateliers à l’arrière des lignes de front.

En 1917, une exposition intitulée « L’art pendant la guerre » se tient à Lausanne. Elle propose à ses visiteurs de découvrir la variété des objets créés sur les champs de bataille. C’est aussi l’occasion de récolter des fonds pour des associations de blessés et de mutilés de guerre. Dès 1919, les objets créés par les démineurs ou les prisonniers de guerre sont vendus dans des boutiques de souvenirs à l’intention des premiers touristes qui visitent ces champs de batailles déjà mythiques : Verdun, la Somme, le Chemin des Dames. La Grande Guerre laisse donc son lot de souffrances, de destructions et de « gueules cassées », mais aussi un peu d’art. « Où est la mort, l’art n’est point. L’art, c’est ce qui fait vivre. » Cette citation de Romain Rolland, prix Nobel de Littérature en 1915 et pacifiste convaincu, trouve tout son sens avec l’artisanat des tranchées.

La lampe de Cédric est fabriquée à partir d’une douille d’obus allemand de 75 millimètres. Cet obus a été fabriqué dans les usines Polte de Magdebourg, comme indiqué sur la culasse. L’inscription « SP 406 » est un marquage de contrôle de l’obus. Bien que l’année de fabrication de l’obus soit illisible, elle est postérieure à 1915. Le laiton de la douille a été martelé et repoussé afin de créer un décor végétal et floral très délicat, inspiré de l’Art Nouveau qui domine en ce début de XXe siècle. Une bobèche de lampe à pétrole a été rajoutée pour transformer l’objet à des fins utilitaires. Sur la molette est gravé « Bec Victorieux, Paris 14 », fabricant de matériel pour luminaires de l’époque. Si la lampe de Cédric n’est pas rare, elle est cependant de belle qualité, et ce type d’objet émouvant attire toujours les amateurs. C’est pourquoi nous pouvons l’estimer aux alentours de 75 €. Un prix raisonnable pour un objet qui éclairera vos connaissances sur la Grande Guerre et votre conscience sur les conflits actuels !
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