Le magazine des enchères par Interenchères, Diane Zorzi
Des objets amérindiens exceptionnels collectés à la fin du XIXe siècle par Georges de Massol de Rebetz lors des premières expéditions en Amérique du Nord ont été découverts dans un château du Val de Loire. Ils seront dévoilés pour la première fois aux enchères le 20 juin à Artigny, à l’occasion de la 34e Vente Garden Party annuelle de la maison Rouillac.
Il est un temps où la jeunesse pouvait encore rêver, en parcourant les journaux de voyage et romans d’aventure, à la conquête de contrées inexplorées. A cette aventure géographique se livraient en avril 1889 quatre enfants de la Troisième République – Xavier de Monteil (1861-1939), Georges de la Sablière (1863-1898), Abel (1856-1917) et Georges de Massol de Rebetz (1862-1948), des aristocrates bretons et tourangeaux qui, à la veille de l’entrée dans l’âge d’homme, traversaient l’Atlantique pour se délecter de l’une des dernières régions sauvages du monde, la Colombie britannique et l’Alaska, rétrocédée deux ans plus tôt par la Russie aux Etats-Unis. Ces jeunes érudits de moins de trente ans sont parmi les premiers occidentaux à se frotter aux côtes vierges et forêts préservées de ces territoires volontiers assimilés à un « nouveau Far West ». Le dépaysement est à l’œuvre dans cette « ultima thulé » qui ne porte pas encore l’empreinte de la civilisation occidentale récemment installée. Cinq mois durant, l’équipée y savoure la solitude du Grand Nord, pêche le saumon, chasse l’ours et le phoque. De cette expédition privée ne demeuraient jusqu’alors que des documents d’archives réunis par Xavier de Monteil et des clichés de Georges de La Sablière, conservés au musée du Quai Branly, avant que la maison Rouillac ne découvre, dans le grenier d’une propriété endormie du Val de Loire, un ensemble d’artefacts collectés en cette terre d’aventure par le comte Georges de Massol de Rebetz.
« Pays neuf que nous cherchons, de si loin, un rêve qui se réalise. » - Georges de Massol de Rebetz
Des témoignages rares des cultures amérindiennes
Les objets exhumés demeuraient depuis l’origine, par descendance familiale des aventuriers tourangeaux Georges et Abel, dans l’enceinte d’un château du Val de Loire. Une malle d’expédition en peau de bête côtoie un ensemble de documents qui servit de memento lors de l’expédition, ainsi que des objets des cultures amérindiennes, à l’instar d’une pagaie cérémonielle tsimshian ou haida peinte de motifs héraldiques et dotée de treize touffes de crin de cheval, d’une étonnante boîte à couvercle ornée de deux têtes zoomorphes et d’une paire de bottes en daim tlingit ou althabascan composées de perles de verre et de touffes de laine jaune. La pièce maîtresse, quant à elle, n’est autre qu’un bol cérémoniel utilisé par les populations tsimshian ou haida. « Il s’agit d’un témoignage très important et rare d’une culture amérindienne ancienne et florissante de la côte ouest du Canada », annoncent les commissaires-priseurs Aymeric et Philippe Rouillac.
Un bol cérémoniel de prestige
Avant d’être transformé en cache-pot par ses propriétaires, ce bol servait à présenter des mets de qualité, à l’instar du saumon, lors de grandes fêtes ostentatoires ou de festins cérémoniels. Selon la coutume locale, ce type de récipient arborait en guise d’ornement la silhouette d’un personnage totémique ou héraldique. Ici, l’expert Anthony Meyer reconnaît la représentation d’un ours marin, un être surnaturel pourvu d’une tête et des pattes d’ours, conjuguées à une queue et une nageoire dorsale de baleine. Ces éléments se déploient sur les quatre faces incrustées d’opercules d’escargots et de rondelles d’ormeaux irisés – au visage de l’ours avec son nez hachuré et ses dents répond à l’arrière la queue d’une baleine pourvue de deux lobes, tandis que sur les panneaux latéraux se dessinent les bras et les griffes de cet être légendaire. « Outre ce décor extérieur exceptionnel, le bol présente la particularité d’être orné à l’intérieur, aux quatre coins, de gravures évoquant les motifs du tissage de nattes. A cela s’ajoute la technique de thermoformage du bois, à partir de laquelle les parois sont constituées, qui est elle aussi des plus étonnantes. » Les quatre côtés du récipient ont été façonnés à partir d’une seule planche de bois assouplie et pliée par vapeur, avant d’être chevillés sur le fond et cousus avec une corde en racine de cèdre battue. « Nous sommes ici en présence d’un objet de prestige fabriqué pour un personnage de haut rang, utilisé lors de moments de grande importance et collecté à un tournant de l’histoire des cultures de la Colombie britannique. Le musée du quai Branly ne conserve dans ses collections aucun objet comparable ». Autant d’éléments qui présagent de belles enchères pour ce bol cérémoniel d’intérêt muséal, estimé entre 40 000 et 60 000 euros.