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Une toile qui ramène sa fraise !

Samedi 11 juin 2022 à 07h

par Aymeric Rouillac

Cette semaine, Lionel de Faverolles-en-Berry nous envoie la photographie d’un tableau retrouvé dans un grenier. Aymeric Rouillac, notre commissaire-priseur, partage son avis.

Alors qu’en mars dernier s’envolait lors d’une vente aux enchères une « Pyramide de fraises » peinte par Chardin à plus de vingt millions d’euros, la cueillette de Lionel sera-t-elle aussi lucrative ? Comme pour les fraises de Chardin, cette œuvre est peinte sur une toile tendue. Elle mesure probablement une cinquante de centimètres de long. Les fraises s’empilent avec gourmandise dans un panier d’osier. Ce récipient est posé sur une table dont le plateau se fond avec le mur. L’arrière-plan est plutôt neutre, en petits aplats de peinture beige brossés. Les fraises savamment disposées dynamisent la composition. La lumière et les nuances de rouge illuminent l’œuvre. La partie gauche de la toile est plus sombre, la lumière semble jaillir de la droite. Mais attention, on observe à la surface de la toile des moisissures qui pourraient endommager profondément l’œuvre.

On appelle ce type de tableau une « nature morte ». C’est en 1668 que Félibien, l’un des grands théoriciens de l’art français, propose une hiérarchie des genres picturaux. Au premier rang, il place la peinture d’histoire, au dernier, la nature morte ! Mais n’ayez crainte cher Lionel, des artistes tels que Chardin au XVIIIe ou Matisse au XIXe siècle ont « cassé-les-codes ». Grâce aux avancées scientifiques et aux artistes, le monde cesse en partie d’être pensé comme une création divine. Au-delà de la beauté d’un panier de fraises ou d’un bouquet de fleurs, le peintre cherche à donner une signification cachée de la représentation de la nature. Ainsi, nous pourrions voir dans ces fraises plus ou moins rouges et plus ou moins abimées une représentation du temps qui passe ! Le peintre a d’ailleurs placé au premier plan une tige de fraisier sur laquelle on peut observer l’évolution d’une fraise : du bouton de la fleur jusqu’au beau rouge du fruit mûr, en passant par la fraise blanche. Tout bien considéré, les étapes de la vie ! Si le temps n’a pas d’emprise sur vous, la symbolique de la fraise dans l’iconographie chrétienne vous conviendra peut-être davantage ? Pour l’Église, elle symbolise l’Annonciation et l'Incarnation du Christ, car la fraise mûrit au printemps. Sa couleur rouge rappelle le sang et donc la passion du Christ.

Mais qui est l’auteur de cette œuvre ? Probablement pas un contemporain de Chardin, mais plutôt un artiste oublié du début du XXe siècle peignant à la manière du XVIIIe siècle. Les peintres français sont très appréciés dans ce genre de peinture. Louis XIV, qui raffole de ce fruit exotique, contribue à le populariser en France, bien qu’il y soit très allergique… Votre tableau, très décoratif, a le mérite de rappeler le printemps et surtout la gourmandise de la Sologne et du Berry, terres de prédilection de la culture de la fraise. Loin des chefs-d’œuvre du XVIIe et XVIIIe siècle, je crains que cette toile ne soulève guère l’enthousiasme des collectionneurs. On peut donc l’estimer autour de 100 euros, pour ses jeux de lumière. Toutefois, ce tableau reste agréable et ses fruits printaniers nous invitent à partager des moments de générosité et de plaisir autour d’un beau panier de fraises !
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