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La Loïe Fuller sur la piste de danse, c. 1893

Dimanche 05 juin 2022

par Henri de Toulouse-Lautrec

Frederick Glasier, Loie Fuller dans la danse Serpentine, 1902, Photographie, Bibliothèque du Congrès, Washington
Maurice Guibert, Henri de Toulouse-Lautrec artiste et modèle, vers 1891

Henri de Toulouse-Lautrec (Albi, 1864-1901, Saint-André-du-Bois)

La Loïe Fuller sur la piste

c. 1893. Huile sur papier marouflé sur carton.

Étiquette d'écolier au dos du carton numérotée 34.

Haut. 49 Larg. 56 cm.
Carton : Haut. 55,5 Larg. 65 cm.
(Accidents et déchirures).

Provenance :
- collection Emmanuel Bénézit,
- collection Marcel Guiot,
- collection Georgette Brisset, épouse Bessou, 1946,
- par descendance familiale, Touraine.


Bibliographie :
- Brame et de Haucke, "Toulouse Lautrec et son œuvre", Collectors Editions, New York, 1971, n° P515, reproduit dans le volume 2, p. 315.
- Foucart et Sugana, "Tout œuvre peint de Toulouse Lautrec", Flammarion, Paris, 1986, n° 475, reproduit p. 117.


Certificat:
- Marcel Guiot, 4 rue Volney Paris IIe, en date du 4 février 1946,
- André Schoeller, 33 av du général Sanal Paris XVIe, en date du 6 février 1946,
- Art Loss Register, Londres, en date du 18 janvier 2022


Lorsqu'une jeune américaine de l’Illinois, Loïe Fuller, récemment divorcée d’un colonel polygame, arrive en France en 1892, l’artiste aristocrate albigeois de deux ans son cadet, Toulouse Lautrec, n’est déjà plus la simple coqueluche des salons parisiens mais est aussi devenu une figure de la bohème montmartroise. Marie-Louise Fuller (1862-1928), dite Loïe Fuller,
triomphe aux Folies Bergères, où elle est accompagnée par une équipe d’électriciens éclairagistes dirigée par son frère.

Faisant tournoyer de longs voiles qu’elle tient à bout de bras prolongés par de fines tiges, elle se métamorphose en danseuse serpentine ou en orchidée… insaisissable. Elle incarne l’esprit même de la danse « symboliste ». Jean Lorrain décrit lyriquement ce phénomène : « Était-ce une danse ? Était-ce une projection de lumière ou une évocation de quelque spirite ? Mystère. Les teintes et les nuances s’éclairaient tour à tour développées tantôt en spirales, puis soudain agitées comme des ailes, puis écoulées en capricieuses volutes, et au milieu de ce flot de vapeur et de voiles mobiles, un buste de femme émergeait ». Henri de Toulouse Lautrec est fasciné par cette femme qui danse sur un plancher de verre rétro éclairé, et dont l’image se reflète à l’infini par un subtil jeu de miroirs.

Il voit en elle une moderne Victoire de Samothrace et lui consacre la plus symboliste et novatrice de ses affiches. La Loïe y devient une flamme incandescente, un mouvement vertical, fulgurant, dont le peintre parsème de poudre d’or la soixantaine d’impressions réalisées. Las, les attentes de Toulouse Lautrec sont contrariées et la Loïe, qui deviendra l’agent de Rodin aux États-Unis, confie à d’autres affichistes le soin de sa promotion. Loïe Fuller poursuivra sa carrière accompagnée de Chéret, de Steinlen ou de Raoul Larche avant de mourir dans l’oubli.

Il ne reste que trois œuvres sur papier évoquant ce travail : une première étude au musée d’Albi (MTL 152), une deuxième anciennement dans les collections Wildenstein et la nôtre, que l’on peut considérer comme une œuvre aboutie. Elle est passée par les collections d’Emmanuel Bénezit puis du galeriste Marcel Guiot, avant d’être acquise en 1946 par Georgette Brisset, commerçante issue d’une famille de mandataires aux Halles, le ventre de Paris. Elle a été conservée dans sa descendance, en Touraine, jusqu’à sa redécouverte à l’occasion de cette vente.

On y reconnaît la danseuse de dos avec son flamboyant chignon relevé à l’arrière de la tête, on devine les reflets des miroirs à gauche et à droite, on est pris dans un tourbillon de couleurs changeantes. Comme sur la célèbre toile du "Cirque Fernando" conservée à l'Art Institute of Chicago (1925.523), on se retrouve aux côtés de l’artiste, assis derrière l'arc de cercle rouge du rebord de l'ancienne piste de cirque qu'étaient les Folies Bergères. Avec lui, on se prend à rêver d’une petite américaine qui électrise la Ville Lumière et incarnera comme aucune autre le tourbillon symboliste d’un Art Nouveau.

Aymeric Rouillac
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